Seabed warfare : Retour vers le futur sur l'épave du MOSKVA !
Publié le 23 Avril 2022
C'est la confirmation de l'hypothèse que j'avais formulé dans mon premier article sur le croiseur MOSKVA ainsi que dans l'article dans lequel je vous avais parlé de l'hypothèse formulée par le capitaine de 1er rang Sergueï GORBACHEV : Une mission d'inspection puis très probablement une mission de récupération de composants sensibles sur l'épave du croiseur et très certainement de destruction de cette épave vient d'être lancée par la flotte de la Mer Noire .
A priori il n'y aurait rien d'exceptionnel quand à la difficulté de cette mission - mise à part qu'elle se déroule dans une zone d'opération des armées - sauf que cette mission nous ramène plus d'un siècle en arrière , il y a exactement 110 ans , au débuts de ce que l'on nomme désormais le " seabed warfare " . Une histoire dont je vous avais donné les grandes lignes aussi sur ce blogue .
Le navire d'assistance KOMMOUNA vient d'être dépêché sur les lieux du naufrage du MOSKVA . Il n' y aurait rien d'exceptionnel si le KOMMOUNA n'était pas le navire de guerre en service le plus ancien au monde puisqu'il a été lancé en 1912 , c'est à dire sous le règne du Tsar Nicolas II . Son activité opérationnelle a commencé en 1915 dans la Baltique et il a participé à d'innombrables missions sous tous les " Tsars Rouges " , de LÉNINE à BREJNEV. Cette actualité pourrait être regardée par la " petite lorgnette " , avec mépris comme le font le MSM et la blogosphère Défense & GP en particulier Francophone , mais j'estime qu'il faut la traiter avec plus de sérieux comme le fait - presque - toujours H.I. SUTTON dans son blog " Covert Shores " .
La genèse de ce navire et son architecture caractéristique de type " catamaran "sont intimement liés à l'émergence de l'arme sous-marine au début du XX éme siècle et à la nécessité de porter secours à des submersibles en difficulté , le plus souvent avariés ou en panne sur le fond marin . La cause des avaries pouvant être une action de guerre ou une " fortune de mer " comme ce fut le cas avec les sous-marins " Farfadet " et " Pluviôse " de la Marine Nationale le 23 juillet 1905 et le 26 mai 1910 . Les tâtonnements , les accidents au cours des opérations de secours et le manque de moyens dédiés ont eu un grand impact au sein des marines de guerre à travers le monde , y compris jusqu'en Amérique Latine au Brésil . A delà du concept de " navire ravitailleur de sous-marins " - submarine tender - le concept d'un navire dédié à des missions de secours et de maintenance des submersibles prenait corps .
Le " Petit Journal " constitue comme toujours avec les cartes-postales un excellent moyen pour avoir une idée très précise des " moyens et des techniques " de secours de l'époque . J'en profite pour vous donner la première photo sous-marine datant de 1899 . Comme le montrent des CP d'époque le principal accident qui survenait lors des opérations de secours et en particulier de renflouage était le chavirage des barges sur lesquelles étaient installées les grues ou les chaînes de relevage . C'est dû tout simplement au moment de basculement et donc pour éviter ce chavirage il fallait symétriser les efforts au travers de deux pontons placés de part et d'autre du submersible à relever . Dans le cas du Pluviôse le chavirement fut causé par la rupture d'une chaîne de pesage . L'étape suivante ce fut de réunir ces deux pontons au moyen d'une architecture de type " catamaran " par des fermes métalliques et de créer une darse centrale . Ces fermes servent aussi de points d'accrochage aux élingues de relevage des charges immergées et aujourd'hui au bathyscaphe AS-28 ( voir schéma de relevage du L-55 ) Il semble d'ailleurs que cette idée existait depuis l'antiquité Grecque et Romaine pour relever des colonnes et d'autres charges tombées d'un bateau de transport - une maquette de ces navires-grues est visible dans cette exposition - comme pour les péniches de débarquement avec les navires huissiers !
Il faut ici noter le courage du capitaine Anatoly ISHINOV qui a réussi à convaincre sa hiérarchie de moderniser ce navire en 2018 - alors âgé de 105 ans - et de le garder au service actif . Mis à part un système de positionnement dynamique ce navire est parfaitement " moderne " dans le cadre du seabed warfare contemporain et peut certainement servir de modèle pour la conception d'un successeur . Si l'on veut être rigoureux intellectuellement , l'entrée du KOMMOUNA dans le Seabed warfare date de 1967 avec la refonte - je préfère à rétrofit - du navire pour ses 55 ans et sa transformation de navire de relevage sous-marin en navire d'appui à des submersibles de secours et d'exploration sous-marine .
Un navire avec cette architecture en catamaran est en tout cas beaucoup plus fonctionnel dans des missions de support au seabed warfare ( bathyscaphes , drones XLUUV , ROV , ... ) que des navires de la classe Marcel Le Bihan ! Il faut voir que les drones de la classe XLUUV comme le Boeing ORCA™ , le SARMA-D™ ou d'autres ont des dimensions et des masses ( il s'agit d'un problème de manutention ) comparables aux submersibles de la classe HOLLAND pour lequel ce type de navire a été planifié.
La première marine au monde à adopter un tel type de navire fut non pas la Marine Nationale , ni la Royal Navy ou l' US Navy mais la Kaiserliche Marine avec le SMS VULKAN .
Lancé le 28 septembre 1907 et armé le 28 février 1908 , c'est à dire entre les naufrages du " Farfadet " et du " Pluviôse " , il a directement servi de modèle au navire qui allait devenir le KOMMOUNA !
Je ne reviendrai pas sur les caractéristiques techniques de ce navire - au départ " VOLKHOV - ВОЛХОВ " - lors de sa construction qui est évoquée sur ce site et sur celui-ci . Juste pour évoquer sa structure en deux coques réunies par quatre fermes métalliques . Il faut noter ici qu'à l'époque le calcul de telles structures " en treillis " est parfaitement maitrisé comme en attestent des calculs contemporains refaits par ordinateur avec la méthode des éléments finis *. Le " Pape de la RDM " - ou plutôt le " Pope de la RDM " - Stephen TIMOCHENKO aurait participé à sa conception . De la même manière la légende sur la " formule de l'acier PUTILOV™ " qui aurait été perdue après la révolution Russe est à relativiser : Comme le montrent des études métallographiques réalisées par OAO KOMPOZIT™ sa résistance exceptionnelle à la corrosion proviendrait du brunissage de l'acier SIEMENS-MARTIN utilisé pour sa fabrication . ( voir vidéo ) Des travaux d'entretien réguliers sont toutefois nécessaires car corrosion il y a .
Il faut aussi noter que la propulsion du SMS VULKAN était assurée par deux groupes turbine vapeur-électrique alors que la propulsion du VOLKHOV était assuré par deux diesels . La propulsion du SMS VULKAN est donc quelque part plus " moderne " que celle du VOLKHOV devenu KOMMOUNA car elle s'adapterait plus facilement à un positionnement dynamique .
* Diagramme de CREMONA et méthode de RITTER . Débuts des méthodes énergétiques pour les systèmes hyperstatiques et critères de résistance . Il y 20 ou 30 ans le calcul - manuel - de l'élingage d'un submersible aurait été un " classique " en " taupe " ou en BTS-DUT , voir en secondaire .
Des détails de la coque rivetée et de l'hélice . Comme ça tous ceux qui parlent sans savoir , sauront !
Je ne vais pas vous faire l'historique de toutes les missions du VOLKHOV-KOMMOUNA , juste pour vous rappeler le sauvetage des submersible AG-15 et L-55 qui sont parfaitement documentés photographiquement .
Il faut aussi signaler la mission de relevage d'un Su-24 en 1977 à une profondeur de 1700 m qui est souvent évoquée à propos de ce navire mais très peu - pas du tout - documentée . Ce n'est pas sans rappeler la mission de relevage du F-35 de la Royal Navy en Méditerranée qui relève bien du " seabed warfare " .
Aujourd'hui le KOMMOUNA est le navire support de ROV's de fabrication Occidentale et surtout d'un bathyscaphe de type AS-28 . Celui qui fut coincé dans un réseau d'hydrophones lors d'un exercice de la flotte du Pacifique en 2005 et dégagé par un ROV de modèle SCORPIO™ . Ses derniers équipements " Occidentaliens " sont toutefois en voie de " Russification " , en particulier avec des robots sous-marins Russes de type ROV dérivés du MARLIN-350 МАРЛИН-350 qui remplacent les ROVs Britanniques achetés par la Marine Russe .
L'épave du MOSKVA vient d'être déclarée comme " patrimoine de l'UNESCO " par le gouvernement Ukrainien qui affirme qu'elle repose sur des fonds marins dépendant de sa juridiction . Rien n'est moins sûr !
Quelque soit cette prise de position qui semble relever d'une argutie juridique il ne faut pas oublier que les fonds marins sont comme la rue : Ils appartiennent à ceux qui y descendent ! C'est même l'adage de base du " seabed warfare " . Si le KOMMOUNA n'est bien sûr pas capable de relever l'épave du MOSKVA , ses capacités de levage sont largement suffisantes pour relever des radars ou des missiles conteneurisés et pour ensuite déposer des charges explosives pour détruire l'épave .
Un ajout intéressant pour un futur navire de ce type serait de mettre sur une des fermes un bras multiple rotatif semblable à celui du YANTAR pour la mise à l'eau de véhicules sous-marins .
La mission du KOMMOUNA se déroule toutefois dans ce que l'on appelle une " zone d'opérations des armées " , une " zone de guerre " et il doit être protégé contre les attaques , en particulier celles d'une mosquito fleet et contre les menaces aériennes ! La position de l'épave permettrait toutefois de le protéger par une " bulle AA " à partir de la Crimée .
Pour terminer cet article je vous invite à aller sur ce site et sur celui-ci ! Vous en saurez autant , sinon plus , sur le KOMMOUNA que tous les " ôxpôrts " du MSM et de la blogosphère Défense & GP Francophone qui commentent cette actualité !
Nota : Les rédacteurs de ce blog ne répondent à aucune sollicitation de collaboration
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Maj du 24-04-2022 15h30 : Replacement de " KOMOUNA " par " KOMMOUNA "