Une analyse de Xavier Moreau sur Realpolitik Tv .
Les fêtes de la commémoration de la victoire du 9 mai contre l'Allemagne nazie démontrent, ces dernières semaines, à quel point la Russie est unie autour de ce souvenir plein de tristesse et de gloire. Il est abordé par toutes les générations de Russes avec le plus grand respect et la plus grande reconnaissance, vis-à-vis des vétérans de la « grande guerre patriotique ». La chaîne de télévision Russia Today a d'ailleurs recueilli le témoignage émouvant de Roland de la Poype, un Français parti continuer le combat contre l'occupant allemand au sein de l'escadrille Normandie-Niemen. Cette unité autour de la victoire démontre que l'âme du peuple russe n'a été, jusqu'à présent, que superficiellement touchée par les modes de pensée occidentaux. Le patriotisme russe a su résister aux tentations individualistes de la société de consommation et de l'idéologie du désir.
Ce patriotisme se fonde aujourd'hui essentiellement sur la « grande guerre patriotique », considérée à juste titre, comme un sacrifice sans précédent dans l'Histoire. Le Russe, de manière générale, ne « théorise » pas sur son amour de la Patrie, dont il critique sans vergogne et à longueur d'année les dirigeants. Le citoyen russe est méfiant vis-à-vis de l'autorité et ne prend la défense de ses chefs que lorsqu'ils sont critiqués par des étrangers. En revanche la critique de la Russie elle-même, de la mère patrie, est très mal venue. A la question : « pourquoi aimer la Russie », le Russe répondra invariablement : « parce que je suis russe ». Son amour est aussi naturel que celui d'un enfant pour sa mère.
Il existe certes toute une idéologie autour de la mission particulière de la Russie comme troisième Rome, protectrice des peuples chrétiens. La méfiance naturelle des Russes vis-à-vis des idéologies et l'intégration de différents peuples musulmans au sein de la fédération ont rendu cette vision du monde moins pertinente qu'elle ne le fut au XIXème siècle, lorsque la Russie libéra les peuples chrétiens vivant sous le joug ottoman.
La deuxième guerre mondiale est une victoire du peuple russe. C'est ce dernier qui a consenti un effort inouï pour compenser les décisions criminelles et les hésitations de Staline, à commencer par l'élimination de 40 000 des cadres de son armée, la veille de la guerre, et le maintien du rôle prépondérant des commissaires politiques jusqu'à la fin de la bataille de Stalingrad. En hiver 1941 l'armée rouge donne aux alliés leur première victoire contre les Allemands. Joukov, après avoir écrasé l'armée japonaise à Halhin Gol, en août 1939, réussit à encercler pour la première fois l'armée allemande devant Moscou. La Wehrmacht n'évite la débâcle que grâce à l'ordre, pourtant insensé, d'Adolf Hitler, de se faire tuer sur place plutôt que de reculer ainsi qu' à l'incompétence de Staline. Il faut encore deux ans, pour qu'émerge un encadrement pleinement compétent au sein de l'armée rouge. Ces nouveaux cadres ont été forgés dans la guerre contre une des meilleures armées de l'histoire. En juillet 1943, la bataille de Koursk démontre que la supériorité tactique allemande n'existe plus.
Les Russes sont conscients d'avoir fourni le principal effort contre l'Allemagne nazie, qui la première a envahi leur territoire ; comme les Français avaient conscience d'avoir fourni le principal effort contre l'Allemagne prussienne en 14-18. Pendant trois ans, jusqu'au débarquement du 6 juin 1944, les troupes russes, en plaisantant, appellent les rations envoyées par les alliés « vtoroï front », le second front. Le front de l'est mobilisera en permanence au moins 2 millions de soldats allemands, tandis qu'au plus fort moment, le front de l'ouest n'en mobilisera qu'un million. Les considérations idéologiques et la comparaison entre les totalitarismes communiste et nazi n'entrent pas en ligne de compte et sont considérées en Russie comme une véritable insulte. Dans sa volonté d'ériger le nouveau mur de fer en Europe, les Atlantistes ont su habilement jouer sur le ressentiment anti-soviétique et le transformer en un sentiment anti-russe. Sous l'influence de leurs mentors anglo-saxons, les élites des nouveaux membres de l'OTAN ou celles des pays prétendant, ont équipé leur pays d'instituts et de musées supposés investiguer et commémorer l'occupation soviétique. Même Lech Walesa fut victime de cette épuration. Comme dans la France de la libération, les tribunaux d'épuration sont plus faciles à pourvoir que les rangs de la résistance. En Lituanie on trouve « un musée du génocide », en Géorgie un « musée de l'occupation ». Paradoxalement, au nom de ce principe de réparation, la Russie pourrait demander à Tbilissi, des dommages et intérêts pour le mal que Staline a fait aux Russes. L'armée russe aurait d'ailleurs pu faire passer un message clair, lors de son occupation de la ville de Gori en 2008, en déboulonnant la dernière statue de cet idéologue sanguinaire.
La possibilité que la Russie accepte de dédommager l'un ou l'autre de ces pays est nulle. Le but recherché, outre l'érection du nouveau rideau de fer, est tout autre. La puissance américaine en Europe s'est construite sur les décombres de la civilisation européenne.[ En 1919 Victor Marguerite l'inoublibale auteur de " La Garçonne" ecrivait dans "Les Fossoyeurs" : Les Etats-Unis me font penser à un immense champignon vénéneux qui prospère sur l'humus des guerres Européennes - NDLR ] L'Europe de l'après-guerre ne croit plus en son destin et encore moins à la supériorité de sa civilisation. Les millions de morts des deux guerres mondiales ont brisé cette confiance en soi. L'Europe en tant que civilisation disparaît face à une Amérique, persuadée de son élection divine et une Union-Soviétique qui s'attribue la mission de libérer les peuples colonisés. En 1991, avec 27 millions de morts et la libération d'Auschwitz, la culpabilisation de la Russie par les idéologues atlantistes ne s'annonçait pas comme chose aisée.
Le conflit en Tchétchénie fut une bonne occasion pour manipuler les opinions publiques occidentales, maintenues volontairement dans l'ignorance et persuadées que l'Histoire de l'humanité se résume à un combat entre le Bien et le Mal, le Russe incarnant le Mal et le Tchétchène le Bien. En Russie cependant, ces campagnes de presse n'eurent aucun effet. En Russie, pour détruire la fierté d'être russe, il fallait s'en prendre à la « grande guerre patriotique ». Les mythes de la propagande nazie furent dépoussiérés et remis à l'honneur.
- Mythe n°1. Les Russes sont incapables de se battre courageusement et efficacement, et s'ils ont gagné, c'est que le NKVD tirait systématiquement sur les fuyards. Cette pratique ne concernait pourtant que les bataillons disciplinaires. En outre, ce fut le retrait des commissaires politiques, donc du NKVD, des centres de décision qui permit au chef de guerre de retrouver la liberté d'initiative nécessaire à la victoire.
- Mythe n°2. C'est l'hiver russe qui a eu raison des Allemands. La plus grande bataille de chars de la Deuxième guerre mondiale, qui marque la fin de tout espoir allemand sur le front de l'Est, a lieu à Koursk, en juillet 1943. Le général Von Kleist, commandant le groupe d'armée A dans le sud de la Russie, confiera en 1948 à l'historien anglais Liddell Hart, au sujet des Russes : «Ces hommes furent des combattants de premier ordre depuis le début, et nous avons du nos succès simplement à la supériorité de notre entraînement. Ils devinrent des soldats de premier ordre avec l'expérience. Ils combattaient le plus durement, avaient une endurance extraordinaire, et pouvaient continuer la plupart des choses que les autres armées regardaient comme des nécessités. Leur état major apprit rapidement de ses défaites initiales, et devint bientôt extrêmement efficace».
Ce qui marque l'échec final de cette tentative de culpabilisation du peuple russe, c'est la victoire elle-même. Le peuple français souffre encore de son humiliation de 1940. De son côté, le peuple allemand a fini par accompagner son führer dans un immense suicide collectif, encerclé par l'armée invincible de ceux qui avaient été présentés comme des sous-hommes.
Seule la victoire est grande et le « travail de mémoire » des Russes consiste à ne célébrer que les événements glorieux et à pardonner ou se pardonner les fautes de leur Histoire. Cette force de caractère imperturbable serait une thérapie pour l'Europe occidentale.
Note de l'Editeur :
La télévision Russe diffuse depuis quelques jours des témoignages , parmis ceux-ci celui d'un acteur :
" En Russie tout le monde sait que nous avons du pétrole , de gaz et du blé mais nous possédons une richesse beaucoup plus grande : Nous sommes les fils et les petit-fils des vainqueurs de 1945 "