Alors que la fin des combats est loin d'être acquise en Libye malgré le " Mission accomplie " dont se gargarisent les chefs politiques et militaires Français et leur relais d'opinions dans la presse du système [ Rousselin , Merchet ,....] ou la blogosphère défense et sécurité , une rivalité vieille d'un siècle jour pour jour réaparrait dans les sables Libyens : Celle entre l' axe Franco-Anglais et l'Italie .
Une fois de plus c'est l'analyse sur les " temps longs " qui permet de montrer que ce que l'on nomme les " constantes géopolitiques " sont nécessaires pour apréhender le présent et esquisser l'avenir .
Cette semaine , une délegation de la société pétrogazière ENI dirigée par Paolo Scaroni s'est rendue auprés du CNT , suivie 24 h plus tard par une délégation de Total . Au même moment des émissaires de BP et Shell ont pris contact avec cet auto-proclammé CNT tandis que Londres souligne son rôle dans la " guerre des carburants " qui s'est déroulée en Libye .
L'objectif non avoué des pétroliers Franco-Anglais est bien de " bouter ENI hors de Libye "ou du moins d'y fragiliser de manière conséquente les positions de la société pétrogazière Italienne .
La rivalité Franco-Italienne en Libye prend naissance il y tout juste cent ans lors de la guerre Italo-Turque de 1911-1912 . Alors que le jeune état Italien manifeste son désir de prendre pied sur la rive méridionale de la Mediterranée en profitant de la déliquescence de l'Empire Ottoman , la France soucieuse d'y préserver ses interets et plus particulièrement sa possession Algérienne glisse d'une neutralité stricte vers une " neutralité pro-active "en livrant deux aéroplanes Voisin aux forces armées Ottomanes . De la même manière la France favorise le transfert vers la Libye d'officiers Turcs , dont un certain Mustapha Kemal , en civil via la Tunisie en les autorisant à voyager à bord de navires assurant la liaison Tunis - Marseille - Istamboul . La Regia Marina arraisonne deux vapeurs postaux Français , le Manouba et le Carthage , démontrant la duplicité de la prétendue neutralité Française . Le ministre de la guerre Adolphe Messimy organise alors une violente campagne Italophobe en agitant en sous-main les colons Français de Tunisie qui se livrent à des ratonnades contre les " macaronis " établis à Tunis . Conscients de leurs faiblesses respectives , menace Allemande d'un côté et faiblesse de la Regia Marina par rapport à la Marine Nationale de l'autre , les deux états renoncent à entrer en guerre l'un contre l'autre .
Durant la Première Guerre Mondiale , les services de renseignements Allemands entrent en contact avec les sectes Sénoussies présentes sur le territoire de la future Libye et favorisent leurs actions de destabilisation au Sahara-Sahel sous contrôle Français . L'action la plus spectaculaire des Sénoussites sera l'assassinat du Père Charles de Foucauld en juin 1916 . L'Italie est alors la proie de luttes internes entre partisans de la neutralité et interventionnistes. Les premiers se rencontrent surtout dans les cercles proches de la Regia Marina , à l'exception de l'amiral Paolo Thaon di Revel , préoccupés avant tout des questions Méditerranéennes et pour qui la France et l'Angleterre sont des compétiteurs alors que les interventionnistes dont font parti Benito Mussolini et Gabriele D'Annunzio se préoccupent de la question des terres irrédentes dans les Balkans Austro-Hongrois et de la question navale en Adriatique . C'est ainsi que les revendications Italiennes à la Conférence de la Paix se focalisent sur les Balkans et l'Adriatique en laissant les dépouilles de l'Empire Ottoman aux Franco-Anglais qui avaient déja exclus de facto l'Italie des accords Sykes-Picot , reniant les engagements du pacte de Londres signé en 1915 . [ Lien ]
Aprés la Première Guerre Mondiale et une alliance de circonstances avec l'axe Franco-Anglais , l'Italie se retrouve confrontée au soutien de ses anciens Alliès à la rébellion Sénoussite dirigée par Sidi Muhammad Idris al-Mahdi al-Sanussi - réfugié au Caire - et Omar Al Mokhtar . La France et l'Angleterre ne peuvent pas se faire à l'idée d'une Grande Libye sous contrôle Italien et voisine de l'Algérie , de l'Egypte et de l' AOF- AEF . C'est le début de la collaboration entre les Sénoussites et le mouvement de Frères Musulmans , création des services Anglais destinée à s'opposer aux mouvements nationalistes Egyptiens représentés dans le parti multiculturel Wafd . La défaite de l'insurrection Sénoussite oblige en particulier la France à composer au travers des accords Mussolini-Laval de janvier 1935 sur la délimitation de la frontière entre l' AEF et la Libye . Ces accords ne seront d'ailleurs jamais avalisés par la France et le colonel Kadhafi les invoquera pour justifier la présence des troupes Libyennes au Tchad . La période de l'entre deux-guerres voit s'accroître la rivalité entre la Marine Nationale et la Regia Marina dont les exercices respectifs sont peu équivoques quand à la nature de l'adversaire . De son côté l'Angleterre se résoud à laisser transiter les forces Italiennes par le Canal de Suez à destination de la Corne de l'Afrique uniquement à l'aune d'une " menace Japonaise " en Ethiopie .
En 1941 , la " France Libre " reprend à son compte les projets colonialistes de la IIIéme République avec pour premier objectif les possessions Italiennes en Afrique du Nord . Ce que la mythologie DeGaulliste présente comme l'" épopée de la colonne Leclerc " avec en particulier la prise de l'Oasis de Koufra défendue seulement par quelques soldats Italiens isolés , sans ravitaillement , peu d'artillerie et aucun appui aérien n'est en fait que la première étape d'un projet géostratégique visant à créer un corridor entre la Mediterranée et le Tchad et au delà Madagscar dans ce que l'on nomme le " Fezzan Ghadamés " .
Depuis les travaux du géographe Élisée Reclus , les cercles colonialistes Français regroupés autour de Jules Ferry savent que la Tripolitaine et en particulier le port de Syrte est le chemin d'accés le plus court à partir du littoral Français vers le " Soudan" pris dans son sens large , c'est à dire une bande territoriale s'étendant de la Mer Rouge à l'Océan Atlantique .
Un accord signé entre Britanniques et Français octroie à ces derniers l'administration de leur conquête tandis qu'une administration militaire Britannique est établie sur les provinces de Cyrénaïque et de Tripolitaine sur les dépouilles de la Libye Italienne si longtemps convoité par les deux puissances coloniales qui une fois de plus agissent de concert . Le 11 avril 1943, le territoire du Fezzan - Ghadamès est créé.
La France calque l'administration du territoire sur celle du Sahara algérien , faisant des efforts pour intégrer le Fezzan administrativement et financièrement à l'Algérie . Dès août 1943, le CFLN DeGaulliste demande l'annexion du Fezzan.
À l'initiative des Britanniques épaulés par les Américains - on n'est trahi que pas ses amis - les Nations unies se prononcent par un vote pour l'unification des provinces Libyennes au sein d'un royaume indépendant. Ce choix va à l'encontre de la volonté des autorités Françaises qui souhaitent prolonger de dix ans leur tutelle. Pour préparer la transition, la France accorde une autonomie au Fezzan : Ahmed Bey Seif est désigné comme chef de la province par une assemblée locale en février 1950 et le gouverneur prend le titre de résident, tandis que les officiers deviennent des « conseillers ». Le 1er janvier 1952, l'administration coloniale Française quitte le Fezzan .
Le 24 décembre 1951, la Libye gagne son indépendance. La France garde 400 militaires[sur place, répartis entre Sebha, Ghat et Ghadamès, avec l'espoir de pouvoir parvenir à un accord avec le royaume Libyen pour pérenniser leur présence par un traité. Les autorités Françaises craignent que les nationalistes Algériens et Tunisiens n'utilisent le territoire libyen comme un sanctuaire . Cependant, dans le contexte du début de la Guerre d'Algérie , le gouvernement Libyen exige le 13 novembre 1954 le départ des troupes . Les négociations entamées sous le gouvernement Pierre Mendès France aboutissent à la signature d'un traité d'amitié entre les deux pays .
La Libye rejoint les Nations-Unies le 14 décembre 1955 . Quelques mois plus tard, le 30 avril 1956, un forage effectué dans le sud-ouest du pays par la Libyan American Oil met au jour un premier gisement de pétrole . En 1959, des gisements bien plus importants sont découverts à Zliten par la compagnie Esso Standard Libya .
1959 marque aussi l'arrivée d'un nouvel acteur dans la guerre du pétrole en Libye et en Afrique du Nord : L'ENI d'Enrico Mattei . Depuis 1957 celui entretient des contacts trés étroits avec les chefs politiques de la Révolution Algérienne et fut en son temps l'une des personnalités les plus critiques à l'encontre de la politique coloniale Française en Afrique du Nord en oeuvrant de différentes manières à sensibiliser l'opinion publique internationale sur le combat du peuple Algérien contre l'occupant colonial Français.
A ce titre des ingénieurs de l'ENI conseilleront la délegation du GPRA sur les questions Saharienne et pétrolière lors des rencontres des Rousses et d'Evian .
Enrico Mattei disparaît le 27 octobre 1962 dans un accident aérien considéré aujourd'hui comme une Opération Omo , joint-venture en les barbouzes DeGaullistes et les nervis de l'OAS , en représaille au soutien politique , économique et logistique d'Enrico Mattei et de l'ENI au GPRA . Le réalisateur Italien Francesco Rosi a réalisé en 1972 le film "L'affaire Mattei" qui réfutait la thèse de la mort accidentelle. Le film a décroché la Palme d'or au Festival international de cinéma de Cannes .
Le 19 mars 2011 , deux jours aprés le début de l'agression colonialiste Franco-Anglaise contre la Libye , la fondation Slimane Amirat remettait à titre posthume son prix à Enrico Mattei . Mme Amirat déclarait ainsi : "Enrico Mattei s’est pleinement associé au processus de paix en l’Algérie. Il est le symbole des défenseurs des peuples en lutte pour arracher leur liberté confisquée" "Remettre un prix à Enrico Mattei est un signe de reconnaissance pour son engagement et son soutien à la cause Algérienne. Nous avons voulu aussi exprimer notre gratitude envers les étrangers qui n'avaient ménagé aucun effort pour être aux côtés du peuple algérien dans son combat".
Présent à cette cérémonie l'ambassadeur d'Italie en Algérie, Giampaolo Cantini, a rendu hommage à Mattei, "le démocrate", "l'homme engagé" et le "résistant" .
Il a salué en Mattei le défenseur des causes justes et des peuples opprimés par le colonialisme !
A bon entendeur ...
Aprés la prise du pouvoir en 1969 par le colonel Kadhafi , les relations Italo-Libyennes se tendent et connaissent des fortunes diverses mais restent marquées par l'esprit de coppération initié par Enrico Mattei . Alors que le colonel devient de plus en plus un paria aux yeux des diplomaties Occidentales , il garde une aura certaine auprés des milieux du renseignement Italien conscients de la portée stratégique de la coopération pétrolière Italo-Libyenne et de son rôle dans l'indépendance énergetique de l'Italie . Ceux-ci dirigés par le général Vito Miceli déjouent même au début des années 70 un projet de renversement du régime Libyen organisé par le renseignement Britannique avec l'appui d'élèments Islamistes Libyens .
L'Italie a toujours été considérée au mieux comme un " junior partner " avec une attitude condescendante particulière de la France et de l'Angleterre lorsqu'il s'agit des questions Mediterranéennes . Il est fort probable qu'elle se retrouve la victime collatérale de la guerre coloniale contre la Libye dirigée par l'axe Franco-Anglais et que son indépendance énergétique soit desormais compromise . On ne peut que rapprocher l'attitude pusillanime des chefs politiques Italiens dans cette guerre de celle de leurs prédecesseurs en 1915-1916 et le mirage des futurs investissements Italiens en Libye risque de connaître la destinée des revendications territoriales Italiennes à la Conférence de la Paix : Le rayon des illusions perdues .