Vendredi dernier je me suis rendu au Musée militaire de l'Empéri à Salon de Provence comme chaque fois que je dispose d'un peu de temps libre . Ce musée militaire , il faut le signaler , est le deuxième musée militaire de France aprés celui des Invalides à Paris et constitue un bel exemple de décentralisation culturelle ( involontaire ! ) . Le temps recommandé pour la visite de ses 26 salles est de 2 heures mais on peut y revenir à volonté tant la collection y est dense : On sera toujours sûr de découvrir un détail qui vous aurait échappé .
Actualité oblige , j'ai consacré ma visite juste à quelques salles : Celles consacrée à l'expédition d' Egypte de Bonaparte et surtout les salles consacrées à la période Bading Napoléon III .
Les trois salles consacrées à la période Napoléon III constituent un véritable miroir des relations Franco-Mexicaines en cette période d'" Affaire Florence Cassez " et m'ont inspiré quelques réflexions .
Les deux vitrines consacrées à l'Expédition du Mexique ( 1861 - 1867 ) se trouvent à côté des vitrines évoquant la guerre Franco-Prussienne de 1870-1871 . Or s'il ne viendrait à l'idée d' aucun journaliste ou politique Français et Allemand d'évoquer ce conflit en périodes de tensions entre la France et l'Allemagne , les références à l'expédition Mexicaine de Badinguet sont désormais récurrentes dans la presse Mexicaine à l'exemple de Miguel Angel Granados Chapa qui écrit dans un éditorial nommé « Paris vaut bien un renvoi » : L'attitude de la diplompatie Française a provoqué au Mexique " une réaction de défense, un refus à une ingérence étrangère, surtout de la part d'une République qui a envahi plusieurs fois le Mexique et a même instauré un Empire sur notre sol " .
Ces références à un conflit datant de 150 ans montrent que le poids de l'histoire , les élèments constitutifs de la conscience nationale sont différents à Paris et à Mexico . La France s'est engagée dans la post-histoire et même l' a-histoire depuis les débuts de son intégration Européenne , on peut même dater le début de cet ére : La poignée de mains entre François Mitterrand et Helmut Kohl à Verdun le 22 septembre 1984 .La France est desormais une nation ou les " droits de l'homme " servent d'unique référence pseudo-historique et de vecteur d'une diplomatie émotionelle et tonitruante marquée par des postures arrogantes sur la scéne internationale . Le Mexique c'est encore une vision Barrésienne de la Nation , celle de la " tierra y los muertos " - La terre et les morts .
C'est cette ignorance ou cette volonté d'ignorer ce " poids de l'histoire " qui est à l'origine de la morgue avec laquelle les chefs politiques Français à de très rares exceptions parlent du Mexique , de ses chefs politiques et de sa justice .
Cette vision Française condescendante ainsi que l'attitude Mexicaine est parfaitement représentée par une litographie en couleur présente dans la grande vitrine consacrée à l'expédition du Mexique .
Elle représente un sous-officier des chasseurs d'Afrique coiffé d'un sombrero qui regarde avec concupiscence une " indigène " à la peau cuivrée qui porte une calebasse d'eau en terre cuite sur sa tête sur fond de figuier de Barbarie , allégorie de l'Etat Mexicain . Le regard méprisant et fier décrochée par l' " indigène " au militaire Français qui la " déshabille des yeux " traduit parfaitement le sentiment actuel de la population Mexicaine à l'égard de la France et de ses chefs politiques comme il représentait l'état d'âme l' " opinion publique" Mexicaine il y a 150 ans vis à vis du corps expéditionnaire Français .
Dans cette grande vitrine centrale sont présents deux manequins représentants des unités ayant participé à cette expédition du Mexique . L'un représente un Légionnaire et l'autre un cavalier des unités de contre-guérilla du colonel Louis Dupin .
Si les combats de Camerone sont aujourd'hui commémorés dans une atmosphère appaisée et même amicale entre Français et Mexicains , chaque année l'armée Mexicaine vient rendre hommage devant le monument construit en 1965 aux hommes tombés à la bataille de Camerone , Français comme Mexicains , les unités de contre-guérilla du colonel Dupin - la Hyène de Tamaulipas - resteront gravées dans la mémoire collective Mexicaine comme la face la plus abjecte de l'intervention Française .
On peut en effet difficilement attribuer le qualificatif de " militaires " ou de " soldats " à cette bande de 800 soudarts et à leur chef dont les missions se rapprochaient de celles des unités SS sur le front de l'Est entre 1941 et 1945 : Brûler des villages , massacrer la population civile ayant pris fait et cause pour Benito Juarez - essentiellement sur des critères ethniques [ 1 ] , les communautés mestizas - afin d' " enlever l'eau du bocal " de la guérilla , torture et execution des prisonniers civils ou militaires .
Le colonel Charles-Louis Dupin peut être considéré , malheureusement , comme le " Père " de l' " Ecole Française de contre-insurrection " et ses tactiques parfaitement théorisées ont été appliquées , entre autres , par la suite par le colonel Roger Trinquier en Indochine et surtout en Algérie :
1- Quadrillage , " pacification " et regroupement des populations civiles
2- Stratégie de " contre-terreur " , principalement à l'encontre de populations civiles .
3- Exacerbation du " fait ethnique " : Amérindiens Yaquis contre mestizos favorables à Benito Juarez , Meos- Hmongs contre Viets et même Harkis et Moghaznis berbères en Algèrie .
Les pueblos Mexicains incendiés deviendront les mechtas Algériennes bombardées au napalm et les Harkis , comme les Hmongs , ont subi le sort des Yaquis aprés le départ des troupes Françaises . L'échec du " projet Français " au Mexique préfigure son échec en Indochine et en Algérie .
Evoquer la page glorieuse de la bataille de Camerone et de la geste du capitaine D' Anjou nécessite aussi de se rémémorer les exactions des soudarts du colonel Louis Dupin vis à vis de la population civile Mexicaine pour comprendre le "poids de l'histoire" dans les relations Franco-Mexicaines et la sensibilté de l'opinion publique Mexicaine .
Le troisième élèment que je retiens de cette visite au Musée de l'Empéri est constitué par la fresque qui sert de fond à la vitrine principale qui représente la bataille de Cholula . Elle est tirée d'une illustration parue à l'époque dans " Le Monde illustré " et peut être considérée comme une allégorie du " choc des civilisations " qu' a été volens nolens entre l'expédition Française au Mexique .
La France " puissance blanche ", affronte la " nation métisse " Mexicaine celle de la Raza cosmica de José Vasconcelos symbolisée par la proximité d'une église Catholique baroque et d'un temple Amérindien . A l'heure ou les chefs politiques Français reconnaissent l'échec d'une " société multiculturelle " en France - Badinguet se targuait deja d'être " L'Empereur des Français et des Arabes " - la société Mexicaine nous renvoie au contraire l'image de ce " multiculturalisme " ! Bien sûr , les destinées historiques de la France et du Mexique sont totalement différentes mais on ne peut s'empêcher de comparer les deux sociètés dans ce domaine .
L'expedition Française au Mexique est souvent présentée comme un projet géopolitique de Napoléon " Badinguet " III : Créer un empire latin catholique aux marches du monde Anglo-Saxon protestant Nord-Américain . La diplomatie Française , Charles de Gaulle entre autres [ 2 ]- [3] , a souvent cherché à exploiter cette parenté latine et catholique avec le Mexique . L'échec du projet de Badinguet comme le champ de ruines que sont les relations actuelles entre la France et le Mexique montrent que d'autres élèments doivent être prisen compte , en particulier le respect des sensibilités nationales et celui du " poids de l'histoire " . C'est ce qu'avait parfaitement intégré le général Charles de Gaulle lorsqu'il proposait au Mexique de marcher " la mano en la mano " !
Document : [ 1 ] FONDEMENTS ET ILLUSIONS DE L'lNDIGENISME FRANÇAIS AU MEXIQUE
Commandant de la contre-guerilla, le colonel Dupin s'entoura de troupes indiennes auxquelles il donnait carte blanche quand il s'agissait de "nettoyer" les régions qu'il "pacifiait". Après un succès sur Carbajal, il les laissa même se venger et achever les blessés : le massacre fut horrible constatait l'officier qui n'était pourtant pas du genre émotif (10).
[ 2 ] De Gaulle et le Mexique
[ 3 ]Le général de Gaulle et le Mexique