Publié le 17 Juin 2010
Par Andreï Fediachine, RIA Novosti
Depuis quatre jours, la Bulgarie brouille la question de sa participation aux projets de création de l'oléoduc Bourgas-Alexandroupolis (Bulgarie, Grèce, Russie) et de construction par le groupe russe Atomstroyexport d'une centrale nucléaire à Belene.
Le premier ministre bulgare, Boïko Borissov, a déclaré, lors d'une rencontre avec les ambassadeurs européens, que Sofia avait renoncé au pipeline transbalkanique (sous prétexte de mécontentement des habitants de Bourgas et de doutes de la part des écologistes) et à la centrale de Belene. Mais le ministre de l'Energie, Traïtcho Traïkov, a ensuite expliqué qu' « aucune décision de non-participation n'avait été prise ni pour l'un, ni pour l'autre projet ».
Le vice-ministre des Affaires étrangères, Marin Raïkov, a de son côté déclaré que le gazoduc européen Nabucco était plus important pour la Bulgarie que son concurrent russe South Stream et que ce dernier suscitait d’ailleurs « beaucoup de questions ». Il n'a cependant pas précisé lesquelles. Bref, il s'est avéré qu'aucune décision sur South Stream n'était prise.
La question de savoir si la Bulgarie change de tubes est encore en suspens.
L'opposition socialiste a tout de suite accusé l'actuel gouvernement de centre-droite de Boïko Borissov (arrivé au pouvoir l'été dernier) de jouer à des jeux politiques dangereux et d'oublier les intérêts nationaux de la Bulgarie. Roumen Ovtcharov, ancien ministre de l'Energie au gouvernement socialiste de Sergueï Stanichev (qui était favorable aux trois projets), a même déclaré être étonné de la capacité de son remplaçant Traïkov de jouer si habilement un double jeu: « feindre de mener des négociations avec la Russie » et, en même temps, être « un homme pro-américain appelé à stopper tous les projets russes en Bulgarie ».
Certes, on ne se passe pas de jeux politiques. Peut-on exclure la politique lorsqu'il s'agit du pétrole, du gaz, de la sécurité énergétique, de Nabucco, de South Stream, des États-Unis, de l'UE, etc.? Non. Surtout en tenant compte des tentatives faites depuis longtemps pour opposer South Stream et Nabucco. Ce dernier doit acheminer du gaz en Europe en contournant la Russie: via l'Azerbaïdjan, la Géorgie, la Turquie, la Bulgarie, la Hongrie, la Roumanie et l'Autriche. L'Irak a récemment promis de livrer du gaz pour ce tube. Par conséquent, son alimentation n'est pas si vague qu’on le croyait il y a six mois, lorsqu'il semblait que Nabucco était un projet gazier purement politique.
La polémique autour de la centrale de Belene, de l'oléoduc transbalkanique et du gazoduc South Stream ne date pas d'hier. Les projets internationaux de ce genre, que ce soit avec ou sans la participation de la Russie, ont toujours été et seront toujours à l’origine des scandales.
Mais pourquoi maintenant? Comment expliquer cette triple salve de Sofia visant d'emblée tous les projets russo-bulgares? (En réalité, le gazoduc South Stream regroupe des consortiums et des compagnies énergétiques de Bulgarie, de Serbie, de Hongrie, de Grèce, de Slovénie, de Croatie et d'Autriche. Quant à l'oléoduc Bourgas-Alexandroupolis, parmi ses participants, il y a aussi la Grèce: un accord intergouvernemental à ce sujet a été signé en 2007).
Premièrement, le chef du gouvernement se voit obligé d’aborder avec les ambassadeurs de l’UE d’autres sujets que les oléoducs. Les ambassadeurs européens ont voulu, entre autres, savoir comment la Bulgarie lutte contre la corruption.
La Bulgarie est considérée comme l’un des pays des plus corrompus de l’UE. Bruxelles lui a déjà refusé de verser des fonds européens (610 millions d’euros) destinés à la réforme administrative, à la construction des routes et à l’agriculture. Dans ce pays, la moitié de tous les contrats liés aux commandes du gouvernement est fondée sur des pots-de-vin. La déclaration de Boïko Borissov affirmant que la Bulgarie allait faire des économies même sur les « contrats russes », voulait en fait manifester sa volonté de lutter contre la corruption et souligner par la même occasion l’intégration européenne de Sofia. Afin de ne pas se voir refuser de nouvelles tranches.
Deuxièmement, la Russie est lasse de l’incertitude quant à la participation bulgare aux projets de Bourgas-Alexandroupolis, de centrale nucléaire de Belene et de South Stream. Deux jours avant la déclaration de Borissov, Sergueï Chmatko, le ministre russe de l’Energie, a déclaré que Sofia devrait se prononcer sur le projet d’oléoduc, avertissant que si la Bulgarie n’effectuait pas une expertise écologique du projet dans les plus brefs délais, Moscou serait obligé de reporter les travaux sine die. On dit même que la date limite pour préparer l’expertise est fixée à septembre. Nous n’avons jamais été aussi près de fermer le projet nous-mêmes.
Troisièmement, la plupart des experts sont convaincus que la Bulgarie tente de « négocier » une augmentation de ses parts de participation à tous les projets sans que cela lui coûte quoi que ce soit. Selon les estimations des experts russes, rien que le transit de pétrole via l’oléoduc Bourgas-Alexandroupolis rapporterait à Sofia 2,5 milliards de dollars par an. South Stream pourrait encore augmenter son influence en tant que pays de transit, et la centrale nucléaire de Belene lui offrirait une indépendance énergétique encore plus grande. On ne se débarrasse pas aussi facilement de tels projets.
Il y a cinq ans, tous ces démarches de la Bulgarie auraient pu choquer les partenaires russes, mais pas aujourd’hui.
Il existe de telles circonstances où les erreurs d’un partenaire potentiel (qu’elles aient ou non un fondement politique n’a plus d’importance) ne sont que bénéfiques. Le refus probable de la Bulgarie de participer aux projets énergétiques russes en fait partie. Et si le gouvernement bulgare actuel veut effectivement renoncer à certains oléoducs et en utiliser d’autres en disant « adieu » au nucléaire et au gaz russes, ce n’est pas une raison pour pleurer.
Comme l’a très bien montré l’expérience récente du « blocus gazier » mené par l’Ukraine, la fiabilité du partenaire est une chose entièrement matérielle dans le cadre d’une coopération en matière de transit de gaz et de pétrole.
Si avec chaque nouveau gouvernement, la Bulgarie était agitée par de nouvelles idées politiques et environnementales, il serait préférable de se fixer des alternatives. De plus, ces alternatives existent déjà.
La Russie pourrait très bien faire passer South Stream par la Roumanie, au lieu de la Bulgarie.
Aujourd’hui, nos relations avec la Turquie ont tellement changé que nous ne sommes plus concurrents, mais partenaires pour la construction de l’oléoduc Samsun-Ceyhan. Il devrait être mis en service en 2011 en reliant les ports de la mer Noire et de la Méditerranée turque. Le but de l’oléoduc est le même que celui de son concurrent, Bourgas-Alexandroupolis: décharger les détroits du Bosphore et des Dardanelles. La capacité de Samsun-Ceyhan est de 60-70 millions de tonnes de pétrole par an. Les entreprises russes Rosneft, Sovkomflot et Transneft participeront au projet. Ainsi, ces dernières années, la conjoncture politique et économique européenne est telle que la Russie peut faire ses propres choix, ce qui n’est pas le cas de la Bulgarie.
En ce qui concerne la centrale nucléaire de Belene, la situation est encore plus simple. Bien avant la participation aux appels d’offre, certains experts se demandaient pourquoi la Russie était prête à faire passer des oléoducs et des gazoducs par le territoire bulgare, et encore plus à y construire des centrales nucléaires, en créant ainsi une concurrence entre les entreprises énergétiques. Autrement dit, en créant son propre futur concurrent. Cette question n’est plus d’actualité. Nos entreprises nucléaires ont assez à faire, tant en Russie qu’à l’étranger.