Publié le 27 Mars 2011
- L'ennemi provoque sciemment des atrocités, et si nous commettons des bavures c'est involontairement
Tripoli. Hôtel Rixos.10h du matin, et le rituel du petit-déjeuner. Nous sommes quelques dizaines de journalistes - accrédités par les autorités libyennes - attablés à la cafétéria. Soudain, un cri de détresse perce le brouhaha des cuillères à café. « A l'aide ! A l'aide ! Regardez ce que m'ont fait les miliciens de Kadhafi ! Regardez ! ». Un foulard marron sur la tête, une Libyenne au visage griffé de cicatrices vient de faire irruption devant le buffet.
A la vitesse de l'éclair, elle soulève sa longue abbaya noire pour nous montrer sa jambe droite : rouge de sang. Ses mains et ses pieds portent également d'inquiétantes ecchymoses. Sous son foulard, qu'elle arrache d'une traite, il y a d'autres cicatrices. Nous restons bouche bée. C'est la première fois, en un mois de reportage en Libye, qu'une personne ose « cracher » sur le régime en public. Invitée à rejoindre l'une de nos tables, elle explose : « Ils m'ont ligoté les mains et ont abusé de moi pendant deux jours ! », hurle-t-elle, en tendant ses poignets, rougis par les contusions.
Entre deux sanglots, elle s'assied sur une chaise et raconte son histoire, haletante. Elle s'appelle Eman al-Obeydi. Elle est originaire de Ben Ghazi, la capitale des rebelles, à l'Est. Jeudi, les miliciens pro-Kadhafi l'ont arrêtée à un poste de contrôle, près d'une base militaire, sur la route de Salaheddin, à la périphérie de Tripoli. Détenue dans un lieu inconnu, elle se retrouve au cachot avec 12 autres personnes. « Les miliciens avaient bu, ils ont pissé sur moi. Ils m'ont violé à plusieurs reprises ! », hurle-t-elle, en ajoutant, à notre attention : « Filmez, filmez, montrez au monde ce qu'ils m'ont fait ! ».
Aussitôt, les caméras se mettent en marche, les micros se tendent, les carnets de notes se remplissent. Son témoignage est bouleversant, intenable. Les yeux hagards, les serveurs et les serveuses du restaurant se rapprochent de notre petit groupe qui l'entoure. Très vite, certains d'entre eux font tomber leur masque de simples employés d'hôtel. « Mais qu'est-ce qui te prend ? Tu n'as pas honte ! Ferme ta gueule ! », s'emporte une serveuse en foulard blanc, en l'accusant de déshonorer le régime de Kadhafi. Un peu plus tard, la même femme tentera de la faire taire en lui masquant le visage avec un blouson. « Je n'ai peur de rien », surenchérit la jeune femme. Un journaliste du Financial Times qui tente de la protéger est violemment écarté.
Source : Chroniques Orientales .