La révolte identitaire Vietnamienne et le colonialisme Français analysés par Stanley Karnow . [ 1ére partie ]
Publié le 17 Novembre 2013
Pour des raisons personnelles et professionelles j'ai de moins en moins le temps de coller à l'actualité dans ce blogue . Je profite du peu de temps libre qu'il me reste pour me réaproprier mes classiques , en l'occurence Vietnam de Stanley Karnow. [ lien ] [ lien ]
Le décés du camarade Võ Nguyên Giáp [ lien vers article ] m'a amené à me replonger dans l'histoire Vietnamienne et plus particulièrement sur la présence coloniale Française. Une fois de plus c'est malheureusement vers des journalistes-historiens Etasuniens et Britanniques qu'il faut se tourner pour avoir une vision synthètique et la plus neutre possible même si les arrière-pensées ne sont pas toujours absentes sur la question Indochinoise entre la France et les Etats-Unis.
Il en est de même avec la Guerre d'Algérie où les ouvrages d'Edward Behr - The Algerian problem - et d'Alistair Horne - A Savage War of Peace: Algeria 1954 1962 - sont des documents de référence aux côtés des livres d'Yves Courrière . Le grand mérite de Vietnam n'est pas tant dans les " révélations " qu'il comporte mais dans la volonté de l'auteur de s'inscrire dans les temps longs en décrivant dans le chapître consacré à la présence Française toute l'histoire des relations Franco-Vietnamiennes depuis... 1665 !
L'intérêt est aussi dans le parti-pris de ne pas avoir peur d'employer les termes adéquats et de mettre en avant le résultat d'analyses sans appels. Ce sont des analyses débarrassées des oripeaux Groucho-Marxistes mais aussi de l'indignation neo-coloniale des anciens de l'Indo , à propos par exemple du triste sort réservé aux prisonniers Français aprés la bataille de Dien Bien-Phu. Au cours des années 1860-1890 l'armée Française procédera à plusieurs massacres de prisonniers de troupes régulières Vietnamiennes sans compter les bombardements de populations civiles dans des places assiégées. Ces massacres ne sont distants que de 60 années de Dien-Bien Phu , ce qui est peu dans la " mémoire des temps longs " des populations Asiatiques.
.
1- Louis XVI et ses ministres ont consenti à soutenir les projets de colonisation et de regime change d'aventuriers comme Pigneau de Behaine.
La monarchie Française pré-révolutionnaire n'a donc pas le " cul propre " vis à vis de la question coloniale en Indochine . [ lien ] et [ lien ]
2- Stanley Karnow se rallie à la thèse , que je partage , des nationalistes Vietnamiens selon laquelle l'introduction du Quốc ngữ - transcription en caractères latins du Vietnamien originellement transcrit en sinogrammes - par Alexandre de Rhodes fut une manoeuvre destinée à déraciner les mouvements indépendantistes liés à l'intelligentsia écrivant en caractères chinois et à obtenir rapidement le relais de l'action des colonisateurs.
3- Le Catholicisme fut au Vietnam le fourrier de l'impérialisme Français. C'est intéressant à noter puisque lors de la guerre d'Indochine De Lattre entrera en conflit avec certaines communautés Dominicaines qui montrérent de la sympathie pour le VietMinh .
4- Les concubines des monarques Vietnamiens issues de grandes familles bourgeoises furent les premières grandes résistantes à la conversion du Vietnam et à l'impérialisme Français. Le monde paysan fut plus réceptif au début au discours des missionaires en raison du message émancipateur Catholique basé sur le " libre arbitre " face au respect des structures hiérarchiques pronées par la doctrine de Confucius. Bien que les concubines ont pris cette position en raison de la condamnation de la polygamie par l'église Catholique , il n'en demeure pas moins que la première résistance structurée au colonialisme se rencontra dans les classes dirigeantes.
5- Stanley Karnow accorde un satisfecit au ministre François Guizot qui s'opposa à toute aventure militaire ou politique en Asie. Il cite ses propos Déroulèdiens : " Nous avons des questions suffisamment graves et complexes à traiter en Europe...sans nous jeter dans d'autres entreprises hasardeuses [ en Asie ] ". Ici encore la religion n'est pas absente puisque la première préoccupation du Protestant Guizot est de limiter l'influence des milieux Catholiques en France soutenus par le Vatican.
6- La Marine Nationale fut le partenaire de l'Eglise Catholique dans la joint venture de la colonisation du Vietnam.
7- Les premières révoltes populaires dans le delta du Mékong datent des interventions militaires de Badinguet - 1860 - dont les troupes de Marine pillaient les villages Vietnamiens. C'est de cette époque que date la politique du fait accompli où les militaires imposent au pouvoir civil la poursuite d'un conflit : Soucieux de limiter les couts de l'intervention et dégager des fonds pour l'intervention au Mexique Napoléon III veut limiter les objectifs de conquêtes au Vietnam mais doit céder aux amiraux comme Pierre-Paul de La Grandière ou Duprée qui lance la conquête du Cambodge sans l'aval du pouvoir civil en métropole. Ce phénomène s'amplifia après la chute du 2nd Empire et que politiciens Royalistes et Républicains se disputaient le pouvoir en métropole. Il faut ici noter qu' à une dizaine d'années près les généraux Russes Skobelev et Von Kaufmann pratiqueront la même politique du fait accompli en Asie Centrale vis à vis du pouvoir impérial à Saint-Petersbourg.
8- Dans le dernier quart du XIXéme siècle " les plus chauds partisans de l'expansion coloniale se recrutaient parmi les progressistes anticléricaux qui se considéraient comme les héritiers de la Révolution Française " . Il cite bien-sûr Jules Ferry. Stanley Karnow rappelle que le principal opposant à une expédition au Vietnam fut le député conservateur , et soutien du général Boulanger , Jules Delafosse.
9- Les expéditions punitives du général Roussel de Courcy ont égalé dans l'inconscient collectif Asiatique le sac du Palais d'été par les troupes Britanniques commandées par Lord Elgin. La fuite du jeune empereur Ham Nghi le 5 juillet 1885 marque le début de la résistance nationale Vietnamienne , au travers du mouvement Cần Vương [ lien ] [ lien ] , qui ne se terminera uniquement que lors du départ des troupes Etasuniennes. Cette résistance englobera dés lors toute la nation Vietnamienne , d'une partie du mandarinat aux paysans. Il faut ici se reporter à Vietnamese Anticolonialism, 1885-1925 de David G. Marr que j'ai cité dans un article précédent. [ lien vers article ]
L'autres aspect intéressant que j'ai trouvé dans l'ouvrage de Stanley Karnow est la description des effets psychologiques de la guerre des mines antipersonnelles et des pièges. Il se base pour cela sur 365 days de Ronald J.Glasser [ lien ] et If i die in a combat zone de Tim O'Brien . [lien ]
Largement employés par les forces Nord-Vietnamiennes [ lien ] les pièges et mines ont constitué un véritable instrument d'attrition psychologique - bien plus que physique - du corps de bataille Etasunien. Ceci explique parfaitement la propagande de stigmatisation de cette munition par des associations comme Handicap International [ lien ] qui veulent les supprimer: Les armées Occidentales sont toujours en manque de réponse systématique face à ces munitions asymétriques à trés bas prix de revient et de mise en oeuvre qui sont in fine aussi légitimes que des bombes à guidage GPS .
La mine antipersonnelle agit comme un véritable gaz paralysant sur la psychologie du fantassin qui y est exposé et qui le détourne de sa mission : Au cours de la patrouille son intellect est complétement phagocytée par la possibilité de la présence de mines ou d'IED , chaque pas nécessite un acte de réflexion conscient pour savoir ou poser son pied , sur la pierre plate qui est devant vous ou sur la touffe d'herbe à gauche ? Faut-il marcher sur la digue ou dans la rizière ? En fait même l'"anesthésie " d'une troupe en zone d'opérations depuis plusieurs jours n'empêche pas la " gamberge " sur les mines que l'on cherche à rejeter et qui se transforme en obsession [ lien ] . Des conflits naissent dans la patrouille lorsqu'un fantassin veut placer ses pas dans les pieds de celui qui le précéde brisant le rythme de la progression.Cette tension psychologique constante , enfin plutôt ces centaines de mises en tension et de relachements de soulagement quotidiens après chaque pas ou rien ne s'est passé , ne cesse que durant la nuit -pertubée par le tir d'un ou deux obus de mortier afin de briser le sommeil - ou lors du combat qui est vécu comme un soulagement !
Le militaire au combat ne " casse " pas psychologiquement en raison d'un stress trop important au cours d'un combat ou d'un bombardement mais par la fatigue de plusieurs milliers de mises sous tension et de soulagements repétés ,à l'image de ces trombones qui cédent sous l'effet de plusieurs torsions.

