Le gambit Turc de la Russie sur la Syrie ?
Publié le 26 Octobre 2012
" De nouveau Petersbourg et Stamboul sont sur le chemin de la guerre ! "
C'est le refrain de la bande musicale Идём на Восток du film " Le Gambit Turc " , tiré du roman éponyme de Boris Akounine , qui a marqué en 2005 le renouveau du cinéma national-patriotique Russe .
C'est aussi volens nolens l'évolution des relations Russo-Turques dont j'ai marqué à plusieurs reprises déja la dégradation constante depuis un an et demie sur ce blogue .
Tout comme la fin de la mission de l'USAID en Russie a marqué l'étiage des relations Russo-Etasuniennes au cours de ces dernières années , l'acte de piraterie aérienne - car c'en est un ! - de l'armée de l'air Turque contre l'AIRBUS Syrien assurant le vol Moscou-Damas va marquer un étiage des relations Ruso-Turques , et pas uniquement sur le dossier Syrien .
Il faut d'ailleurs ici souligner dés le début que si depuis une vingtaine d'années les relations Russo-Turques se sont réchauffées , ce rapprochement est une incongruité historique et géopolitique à l'échelle des deux derniers siècles : L'antagonisme entre le monde Russo-Soviétique et le monde Otomano-Turc a été ainsi autrement plus belligène au cours de cette période que l'antagonisme Franco-Allemand et ce rapprochement Russo-Turc est loin d'atteindre le niveau et la nature des relations Franco-Allemandes : Il ne repose que sur des intérets économiques mutuels qui ne peuvent éclipser des ambitions stratégiques concurrentes , en particulier dans des régions comme le Caucase [ lien ] et désormais le Proche-Orient , ou combler des fossés civilisationnels séculaires ...
Il est utile de rapeller comme le fait le général (2s) Jean-Bernard Pinatel dans Russie , Alliance vitale [ Lien ] que le monde Russo-Soviétique et le monde Ottomano-Turc ont été en guerre 60 ans sur une période de 4 siècles [ XVII éme - XX éme ] ce qui constitue un taux de conflictualité record - 15% - dans l'histoire Eurasienne et même mondiale avec un pic au cours du XIX éme siècle .
Les dégradations des relations au sein de ce " partenariat stratégique " sont telles que le récent changement de majorité parlementaire en Géorgie laisse envisager que Moscou puisse jouer la carte Géorgienne pour arrêter ce qui est décrit en Russie comme la " Marche Turque vers le Caucase " ! [ lien ]
Les points de crispation - pour rester urbain et diplomate - se multiplient entre Moscou et Ankara et englobent une région qui s'étend de la Caspienne à la Mer Noire et de la Syrie à la région Volga-Oural . Cette dégradation accéléré des relations Russo-Turques ne semble d'ailleurs pas avoir été perçue par la communauté analytique Turque dont la cécité n' a d'égale que la suffisance . Citons pour mémoire l'interview le 9 octobre 2012 du Dr. Mesut Hakkı Caşın , " expert de la Russie et de l'OTAN " , par la journaliste Fadime Özkan , qui affirmait que " Pour la Russie , la Turquie est plus importante que la Syrie " , laissant croire à une dépendance sur la question de la " plomberie " gazière et pétrolière [ South-Stream et Samsun-Ceyhan ] de la Russie vis à vis de la Turquie .[ lien ]
Or des événements récents viennent de démontrer tout le contraire ! [ lien ]
Quelles sont les élèments de cette dégradation des relations Russo-Turques ces derniers mois ?
- Le 13 mai 2012 s'est déroulé à Istamboul une réunion intitulée - МЕЖДУНАРОДНАЯ КАВКАЗСКАЯ КОНФЕРЕНЦИЯ - ULUSLARARASI KAFKASYA KONFERANSI - International Conference of the Caucasus . Le slogan y était on ne peu plus clair : "Кавказ без России" - " Le Caucase sans la Russie ! " [ lien ]
Moscou a jugé inadmissible la tenue en Turquie de cette conférences antirusse , dont " les participants constituent une menace directe pour l'intégrité territoriale de la Russie et ses habitants ", a déclaré le porte-parole de la diplomatie russe Alexandre Loukachevitch lors d'un point de presse . A cette occasion le chargé d'affaires de l'ambassade de Turquie à Moscou a été convoqué au MAE Russe tout comme il a été convoqué lors de l'acte de piraterie Ottoman contre l'AIRBUS Syrien . [ lien ] , [ lien ] et[ lien ]
- En visite officielle en Azerbaïdjan, le 12 septembre, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan s’est rendu sur le site hautement sensible de Gabala, abritant une station militaire de radar héritée de l’époque soviétique, et que Moscou a proposé un temps d'intégrer à un projet commun de DAMB avec l' OTAN . Il y a rencontré le président Azéri Ilham Aliev. Le conflit du Haut Karabagh aurait été au coeur des discussions, le président Aliev remerciant M.Erdogan pour le soutien indéfectible de la Turquie sur ce dossier . Cette visite a provoqué une forte " irritation " en Russie - qui soutient l'Arménie sur le dossier du Haut Karabagh - qui si elle ne s'est pas manifestée diplomatiquement a parfaitement été perçue par la communauté analytique ! [ lien ]
- Le 8 octobre dernier , les séparatistes Islamistes Tatars du mouvement " Azatlyk"[ lien vers article ] ont organisé une manifestation devant le consulat général de Turquie à Kazan - Tatarstan - demandant " une reconnaissance du génocide Tatar à la grande nation frère et démocratique Turque , membre de l'OTAN " . Un membre du consulat Turc est descendu à la rencontre des manifestants et a discuté avec eux puis a pris des photos .
Les manifestants ont demandé au représentant Turc d' " exercer des pressions sur la Russie " en faisant remarquer que l'année dernière ils n'avaient pas eu de contacts avec les diplomates Turcs ! [ lien ]
Comme l'a soulilgné un colloque du RISS- Institut Russe d' Etudes Statégiques - du mois d'avril 2012 , le séparatisme " Tatar " est un fait essentiellement exogène [ lien ] et la nouvelle vague qui a pris forme il y a deux ans semble essentiellement d'inspiration Grand-Touranienne , lièe très probablement aux services de renseignement Turcs et Turco-Otaniens .
Les services spéciaux Russes ont porté ces derniers jours des coups importants au milieu séparatiste Tatar avec l'arrestation de l'imam Rustem Safin [ lien ] lié au mouvement Hizb-ut Tahrir et ...à Serguei Oudaltsvov [ lien vers article ] ainsi qu'avec la destruction des membres d'une cellule terroriste Islamo-séparatiste . [ lien ]
Il faut ici souligner qu'il est probable que les procédures judiciaires en cours contre Serguei Oudaltsov [ lien ] et des membres de son entourage comme Léonid Razvozjaev ne soient pas étrangères aux coups portés contre l'Islamo-séparatisme Tatar d'inspiration Grand-Touranienne : Il s'agirait de deux fronts terroristes qui apparemment sans aucun rapport seraient les composantes d'une " strategia della tensione " exogène dont l'objectif est un changement de régime en Russie . [ lien ]
L'annonce du report de la visite du Président Vladmir Poutine en Turquie prévue pour le 14 octobre prochain au 3 décembre , sauf "imprévus " , est bien consécutive à l'acte de piraterie neo-Ottoman contre un aéronef Syrien transportant des ressortissants Russes .[ lien ] Les dénégations du Kremlin ne trompent personne et surtout pas Ankara . Les media Russes " officiels " ne se privent pas d'ailleurs d'évoquer les conditions précaires des passagers Russes pendant 8 heures ainsi que le refus des autorités Turques d'autoriser la visite d'un représentant consulaire Russe .
Le 23 octobre , le MAE Russe Serguei Lavrov a accordé une longue entrevue au journal Rossiskaya Gazeta ou il est revenu de manière détaillée sur l'incident de l'AIRBUS Syrien en fustigeant le comportement des autorités aéroportuaires et diplomatiques Turques . Il apparaît que l' " incident " de l'AIRBUS est loin d'être clos à la date d'aujourd'hui entre la Russie et la Turquie et que la diplomatie Russe va continuer d'exiger des explications détaillées d'Ankara ainsi qu'une reconnaissance officielle de cet acte de piraterie aérienne ! [ lien ] , [ lien ]
Ce report de la visite de Vladimir Poutine est ainsi la conclusion logique de cette période de tensions croissantes entre la Russie et la Turquie , un aboutissement plus que logique qui est loin de constituer un coup de tonnerre dans un ciel bleu .
Avec ce report , et peut-être avec son annulation , la Russie signifie clairement à Ankara qu'elle n'hésitera pas à remettre en question et à sacrifier les dossiers énergétiques Russo-Turcs quelque soient leur importance [ South-Stream , [ lien ] et [ lien ] , ventes de centrales nucléaires[ lien ] ] face à ses intérets stratégiques dans l'espace Caspienne - Mer Noire et Volga Oural - Syrie .De la même manière la " solidarité Orthodoxe " pourrait ranger Moscou aux côtés de Chypre sur la question de l'exploitation des ressources pétro-gazières du plateau continental face à la Turquie et Israel . [ lien ]
Quelle peut être la suite de l'escalade car c'est une hypothèse que beaucoup envisagent désormais à Moscou et comment répondre à ce qui est considéré comme un " politique anti-russe " ? [ lien ]
- La Russie organise régulièrement des vols " humanitaires " à destination de la Syrie qui survolent l'espace aérien Turc . Il n'est pas impossible d'ailleurs que faute d'avoir osé intercepter le vol en date du 6 octobre d'un aéronef de l'état Russe , les chefs politiques et militaires Turcs se soient " rabattus " sur le vol Moscou-Damas de l'AIRBUS Syrien .[ lien ]
Il faudra donc examiner ce qui se passera lors du prochain vol " humanitaire " du MSU Russe à destination de la Syrie , les services Russes pouvant parfaitement laisser fuire l'information sur un éventuel transport de " contrebande de guerre "pour provoquer une réaction - ou une non réaction - des chefs politiques Turcs .
- La Russie peut procéder à un déploiement effectif de missiles ISKANDER - M sur son flanc Sud . Le déploiement annoncé des ces missiles dans la région de Krasnodar dans l'éventualité d'un échec des négociations sur la DAMB [ lien ] a provoqué un véritable vent de panique dans la presse de l'Entité Anatolienne qui a aussitôt listé les régions qui pourraient être frappées par les missiles Russes : Trabzon, Artvin, Rize, Giresun, Ordu, Samsun, Gümüşhane, Bayburt, Erzurum, Erzincan, Sivas, Tokat, Amasya, Kars, Bingöl, Tunceli, Ağrı, Van, Bitlis, Muş, Malatya et Elazığ !
Leur déploiement effectif provoquera certainement une réflexion à Ankara chez les chefs politiques Turcs qui seront soumis à la pression des populations concernées ![ lien ]
Dans son entrevue du 23 octobre au journal RG , le MAE Lavrov ne s'est d'ailleurs pas privé de mentionner le dossier de la DAMB " en Mediterranée " , faisant directement allusion au déploiement de ses composantes sur le territoire Turc . [ lien ]
L'annonce du déploiement de systèmes de missiles S-400 sur le flanc méridional de la Russie peut être considéré comme la première étape de ce dispositif de riposte asymétrique Russe . Ce sont des systèmes d'armes défensifs mais à capacités pré-stratégiques dans la mesure ou ils sont capables de " porter le fer " en dehors de l'espace aérien Russe . Il faut noter ici que les chefs politiques Russes n' ont pas les prévenances stratégiques et diplomatiques avec la Turquie qu'ils ont eu avec le Japon sur le dossier des Kouriles : Le déploiement de systèmes S-300 ou S-400 un temps envisagé sur l'archipel asiatique Russe a été abandonné justement par ce qu'il avait des capacités d'interception dans l'espace aérien Nippon ! [ lien ] , [ lien ] et [ lien ]
- Frapper Ankara au porte-monnaie : Réorienter le flux de touristes Russes de la Turquie vers deux états Orthodoxes : Chypre et Grèce . [ lien ] Cette réorientaion du flux des touristes Russes vers les nations Orthodoxes Grecques et Chypriotes de la Méditerranée sera d'autant plus facile que même s'ils représentent un marché important , les touristes Russes sont traités comme des touristes de seconde zone par les hôteliers et tour-operateurs Turcs . [ lien ]
Des personnalités marquantes de la communauté analytique Russe comme l'expert militaire Igor Korotchenko n'hésitent plus à formuler cette option et il semble d'ailleurs qu'une agence de tourisme Russe - Grand-Travel Group - a décidé un boycott de la Turquie et des Etats-Unis .[ lien ] et [ lien sur site ] ,[ site ]
- Imposer des restrictions à la compagnie Turkish Airlines sur le territoire de la Fédération de Russie . L'incident de l'AIRBUS Syrien a été une occasion manquée pour les autorités Russes d'imposer , à l'image de la Syrie , des restrictions de vol et des restrictions commerciales aux compagnies aériennes Turques . La presse Russe s'est fait l'écho de l'hypothèse selon laquelle des représentants de la compagnie Turkish Airlines à Moscou auraient été à l'origine de la " fuite " sur la nature de la cargaison de l'AIRBUS Syrien . [ lien ]
Cette compagnie aérienne , lorsque l'on analyse son réseau commercial Russe [ Oufa[ lien vers site TA ] , Kazan [ lien vers site TA ] , Novosibirsk [ lien vers site TA] , ... ] , semble bien être d'autre part un " âne de Troie " des ambitions géopolitiques Touraniennes en Russie .
- La carte majeure dans les mains de la Russie reste la question du PKK car elle est la moins visible " extérieurement " , et donc in fine moins " couteuse " diplomatiquement , mais tout aussi efficace . Moscou refuse toujours de considérer ce mouvement Kurde comme un mouvement terroriste à contario de Bruxelles et Washington . Plus de 85 % de l'armement du PKK est de fabrication Russo-Soviétique . Même si ce ne sont pas des armes achetées " officiellement " à une agence d'état Russe mais provenant de sources " noires ou grises " , il n'en demeure pas moins que comme le montrent certains analystes Turcs qu' une grande partie de ces armes proviennent bien de Russie , surtout pour les missiles anti-chars les plus modernes , les systèmes de communication et de vision nocturne .
Le soutien de plus en plus explicite d'Ankara aux séparatistes Tatars amène certains analystes Russes " radicaux " à envisager la réactivation des liens qui existaient entre le renseignement Soviétique et le PKK dans les années 80 . Les combats meurtriers livrés par le PKK ces dernières années n'ont pas décimé toute une génération d'activistes et de militants qui ont " fait leurs armes " , j'allais écrire leurs humanités , en Union Soviétique à cette époque et réactiver cette coopération ne posera pas de problèmes majeurs . Il n' y aura pas en particulier de problèmes " relationnels " entre les responsables Kurdes et le monde du renseignement Russe post-Soviétique : Les " passerelles " ne sont pas toutes rompues .
L'extradition d'un combattant du PKK réfugié en Russie au mois de juillet 2012 constitue à cette aune une erreur stratégique majeure de la part des chefs politiques Russes mais qui peut être mise sur le compte d'une mauvaise appréciation de la dégradation des relations Russo-Turques .[ lien ]
Ces liens entre l' Urssie et le PKK sont d'ailleurs une crainte récurrente en Turquie comme le révèle la question de Fadime Özkan dans son interview du 7 octobre 2012 . [ lien ]