Raffinerie de Grandpuits : Quand une loi du Front Populaire sert à réprimer un mouvement ouvrier en 2010 !
Publié le 25 Octobre 2010
Sans être spécialiste du droit ni historien , il est interessant de constater certains curieux raccourcis de l'histoire et montrer que la connaissance des événements historiques permet de comprendre le présent .
C'est en en se basant sur une loi édictée en 1938 par des ministres Radicaux du Front Populaire devant " la montée des périls à nos frontières " © que le prefêt de Seine et Marne a ordonné , de manière totalement illégale , la réquisition des ouvriers en grêve de la raffinerie de Grandpuits .
Cette loi , c'est la " loi du 11 juillet 1938 relative à l'organisation générale de la nation pour le temps de guerre " qui dans son article XIV précise les conditions et les modalités des réquisitions .
A la mobilisation, ou dans les cas prévus à l'article 1 de la présente loi, les Français et ressortissants français du sexe masculin, âgés de plus de dix-huit ans, même soumis aux obligations militaires définies par la loi de recrutement et par l'article 11 de la présente loi, sous réserve qu'ils ne soient pas utilisés par les ministres intéressés, peuvent être requis dans les conditions fixées par la loi du 3 juillet 1877, modifiée par la loi du 21 janvier 1935 (sous réserve des dispositions prévues à l'article 27 de la présente loi), par la loi du 31 mars 1928 et par la présente loi. L'appel sous les drapeaux fait cesser la réquisition.
Dans son article I elle décrit les conditions d'application et en particulier le fait qu'elle peut s'appliquer ... en dehors du " temps de guerre " en " periode de tensions internationales " !
Comme le précise Maître André Icard dans son blogue [ 1 ] , ce n'est pas cette loi sui generis qui est appliquée mais l' l'article L.2215-1 4° du code général des collectivités territoriales qui en fait " civilise " et " démilitarise " cette loi d'exception particulièrement liberticide votée dans les mois qui précédent la seconde guerre mondiale et qui n' a apporté strictement rien aux capacités de défense de notre pays face à ces " périls à nos frontières " ©. Le seul objectif de ce dispositif législatif étant de museler l'opposition Communiste et les mouvements ouvriers qui s'opposaient aux " decrêts Reynaud " [ 2 ] remettant en cause les acquis sociaux de 1936 comme le soulignent aussi bien François-Georges Dreyfus dans son " Histoire de Vichy " [ 3 ] ou Annie Lacroix-Riz dans " De Munich à Vichy " .[ 4 ]
La loi du 11 juillet 1938 permettera par une simple pluie de decrêts
de promulguer la tutelle administrative sur les conseils municipaux [ 26 septembre 1939 ] , les mutations , revocations ou suspensions des fonctionnaires [ 18 novembre 1939 ] , les délégués des mineurs [ 29 novembre 1939 ] , les conseils de prud'hommes [ 29 novembre 1939 ] ... pour se terminer par le decrêt Sérol d'avril 1940 .
Cette loi d'exception permettera avec les decrêts de l'automne 1939 et du printemps 1940 la mise en place des lois d'exception du gouvernement de Vichy qui contrairerement à une légende populaire savamment entretenue ne sont pas des " ovnis legislatifs " d'un " gouvernement de rencontre " mais bien des lois basées sur la " légalité Républicaine " , celle du corpus législatif mis en place entre juillet 1938 et avril 1940 !
Par la suite ce texte de 1938 servira de base juridique à tout une série de decrêts durant la Guerre d'Algérie restreignant les libertés publiques dont la dernière application a été decrêtée lors des émeutes de 2005 par le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy . [ 5 ]
S'il est souvent hasardeux de se livrer à des comparaisons à travers le temps , il est toutefois intéressant de constater qu'un dispositif legislatif conçu pour faire face à des menaces extérieures réelles , ces " périls à nos frontières " , n'était en fait dirigé que contre " l'ennemi intérieur " et que plus de 70 ans aprés un de ses petit-cousins issus de germains est de nouveau réactivé en justifiant des " périls " comme les " troubles à l'ordre public " ou " la sécurité enérgetique" voir " sanitaire " à Marseille .
Un travail de reflexion serieux ne peut s'embarraser d'un " reductio ad Petainio " , toutefois les declarations de certains syndicalistes évoquant cette période - celle de la " montée des périls " - à l'aune des decrêts de réquisition ne peuvent que nous inciter à la reflexion en particulier sur les grêves de novembre 1938 .
Tout comme à l'époque le pouvoir a voulu " passer en force " pour briser des acquis sociaux et se croyait vainqueur . Il a au contraire montré sa faiblesse
L'essentiel de ce travail de reflexion doit tourner autour de l'abrogation des dispositions héritées de la loi de de juillet 1938 qui plus de 70 ans aprés sa promulgation menace nos libertés et qui donne comme alors au pouvoir l'arsenal legislatif pour réprimer le mouvement ouvrier .
Si bien sûr la " chienlit " n'est pas tolérable , le législateur doit veiller à encadrer l'exercice de ces dispositions en précisant la notion d' " ordre public " et de " menace sur la sécurité " qui ne peut être laissée à la discrétion d'un prêfet agissant sous les ordres directs du pouvoir .
Il convient en particulier d'en limiter strictement l'exercice lors de mouvements sociaux comme vient de le demonter le cinglant camouflet infligé par le tribunal admnistratif à l'ukase préfectoral .
De la même manière doivent être portées à la connaissance des citoyens les mesures qui autorisent le recours à l'armée non pas sous le pretexte fallacieux de " sécurité intérieure " mais bien dans l'optique de briser des mouvement sociaux comme cela fut le cas durant le dernier quart du XIX éme siècle ,au début du XX éme siècle et ce jusqu'en 1949 .
La période de la " montée des périls " étant là aussi une période qui nous amène à la reflexion .
C'est en tirant les conclusions des " événements " du 6 février 1934 que le trés socialiste Leon Blum crée un corps spécialisé de la Gendarmerie Nationale dotés de moyens blindés pour assurer l'ordre public - L'Escadron Blindé de la Gendarmerie Nationale de Satory - et qui interviendra aux côtés de l'Armée de l'Air pour briser le mouvement ouvrier de novembre 1938 particulièremment à Boulogne-Billancourt .Pendant ce temps là ,sur l'autre rive du Rhin , un gouvernement exerçait son armée de l'air et ses unités blindées mais pas pour transporter le courrier des Postes en grêve ou pour réprimer un mouvement ouvrier .
C'est aussi un socialiste , Jules Moch , qui organisera la répression militaire contre les grêves des Charbonnages en 1948 en utilisant non seulement la " troupe " - les forces d'occupation en Allemagne - mais ce nouvel instrument de répression du mouvement ouvrier transformé en " garde prétorienne du régime " pour reprendre l'expression de Leon Blum lorsqu'il s'opposait ... à la constitution d'unités blindées . [ 6 ] - [ 7 ]
Pour mémoire c'est encore un socialiste , Paul Quilès , qui en 1992 va envoyer des chars AMX - et mobiliser le COTAM - pour dégager les routes de France obstruées par les routiers protestant contre l'instauration du permis à points
L'utilisation des militaires dans un contexte de contestation sociale ou pour assurer le maintien de l'ordre si elle peut être " pacifique " dans le cas du déblaiement des ordures dans Marseille [ 8 ] peut conduire à des dérapages dont on peut imaginer les conséquences : Lors du sommet de l'OTAN à Strasbourg , un militaire qui s'est senti " menacé " par des protestataires n'avait pas hesité à dégainer son arme de service et en menacer les manifestants ! [ 10 ]
Il n'est d'ailleurs pas sûr que l'institution elle-même soit prête et formée à ce genre de missions comme le montre l'incident de Strasbourg et qu'elle soit demandeuse de ces missions .
Articles associés :
[ 1 ] Comment s'exerce le droit à réquisition en cas de grève ?
[ 2 ] La grêve générale du 30 novembre 1938 .
[ 5 ] Instauration de l'état d'urgence en France
[ 6 ] 1948 : Grêve des mineurs .
[ 8 ] Face à la grève des éboueurs à Marseille, le préfet envoie les militaires .
[ 9 ] BLINDES CONTRE ROUTIERS:EPREUVE DE FORCE EN FRANCE
Bibliographie conseillée :
[ 3 ] Histoire de Vichy - François Georges Dreyfus - Perrin
Plus particulièremment Titre 1 - " Vichy avant Vichy " - Chap III L'Anticommunisme Républicain
[ 4 ] De Munich à Vichy - Annie Lacroix-Riz - Armand Collin
Plus particulièremment Chap 8 Vichy avant Vichy
Lien vidéo
L'intervention de l'armée lors des grêves de 1948 : http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/AFE85002178/les-greves-a-valenciennes-et-vieux-conde.fr.html
Incidents à Starsbourg