Russie - Défense : La marine sacrifiée au profit de l’armée de l’air
Publié le 4 Juin 2010
Par Ilia Kramnik, RIA Novosti
Le budget militaire pour la réalisation du programme gouvernemental de réarmement à l’horizon 2020 s’élèvera à 13.000 milliards de roubles. Tel est le chiffre annoncé par le général Oleg Frolov, chef du département armements du ministère russe de la Défense, durant son intervention à la Douma (chambre basse du parlement russe).
Selon le général, ce budget devrait être suffisant pour moderniser les forces nucléaires stratégiques, ainsi que l’armée de l’air et la défense antiaérienne. Toutefois, il est proposé de reporter à des jours meilleurs la modernisation de l’armée de terre et de la marine, qui devront pour l’instant se limiter au maintien des équipements existant en état de disponibilité opérationnelle avec une acquisition minimale de nouveaux matériels.
Pour financer la totalité des besoins des forces armées russes, entre 28.000 et 36.000 milliards de roubles sont nécessaires pour le programme de réarmement dans les dix prochaines années, estime Frolov.
De quels équipements seront finalement dotées les forces armées ? Dans les cinq ans à venir, l’armée de l’air doit compléter son parc de 350 nouveaux chasseurs et de 400 nouveaux hélicoptères modernisés. Au final, dans dix ans l’armée de l’air devrait compter 1500 appareils de tous types, dont au moins de 800 nouveaux chasseurs modernisés. Le chasseur de cinquième génération T-50, qui, selon les estimations officielles, devrait être produit en série en 2015, constituera la principale nouveauté.
Il est prévu de moderniser l’aviation militaire de transport qui comprendra le parc actuel des appareils Il-76, An-22, An-124 Rouslan etc. et les nouveaux appareils Il-476, Il-112B, An-70 et les nouveaux Rouslan dont la production devrait reprendre.
Les forces antiaériennes continuent à recevoir les systèmes S-400 qui compléteront les S-300 modernisés, les systèmes de missiles Pantsir à courte portée, ainsi que les S-500, les Vitiaz et autres armements actuellement en cours de développement.
Les forces nucléaires stratégiques, étant une priorité selon les déclarations faites à plusieurs reprises par les chefs militaires et dirigeants du pays, continueront à être réarmées. Les troupes des missiles stratégiques (RVSN) seront dotées de missiles balistiques intercontinentaux Topol-M et Iars ainsi que d’un nouveau missile lourd en silo. La modernisation des bombardiers lourds Tu-95 et Tu-160 ainsi que le développement du bombardier du futur pour l’aviation stratégique, PAK-DA se poursuivent pour l’armée de l’air. Les forces nucléaires stratégiques navales devraient recevoir 8 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins du projet 955 dotés du missile Boulava, dont les essais devraient être terminés cette année.[ Article en préparation - NDLR ]
Qu’en sera-t-il pour l’armée de terre et la marine ? Apparemment, en ce qui concerne ces types d’armées, il faudrait s’attendre à une modernisation très lente du matériel militaire avec une dotation minimale de nouveaux systèmes, et cela constitue un danger important.
Pour l’armée de terre une telle approche pourrait être justifiée. Aujourd’hui pratiquement tous les pays voisins de la Russie refusent d’augmenter les capacités de leurs armées de terre, la majorité d’entre eux va même jusqu’à les réduire considérablement. Les modifications concernent aussi les programmes de développement et de production de tous nouveaux systèmes. Ainsi, les États-Unis ont annulé l’ambitieux projet Future Combat System, dans le cadre duquel il était prévu de créer toute une famille de nouveaux véhicules de combat allant de pièces d’artillerie à des véhicules blindés de combat d’infanterie. L’Allemagne et la Grande-Bretagne ont annulé leurs projets de développement de chars. Tout récemment la Russie a annoncé la suspension du développement du nouveau char T-95.
De toute évidence, l’armée de terre devrait se limiter à la dotation en versions modernisées des systèmes existants, ainsi qu’à la réparation des systèmes actuellement en service.
La situation de la marine est d’autant plus difficile. Sans une augmentation du budget, dans les dix prochaines années la marine recevra tout au plus 12-15 navires de surface de classe corvette-frégate, 6-8 sous-marins polyvalents à propulsion nucléaire et diesel et quelques navires et vedettes d’autres classes. Reste possible l’acquisition de 4 porte-hélicoptères d’assaut amphibie de classe Mistral.
Ce nombre est tout à fait insuffisant pour compenser les pertes de la marine compte tenu du vieillissement des navires. À ce rythme de dotation, en 2020-2025 la marine russe sera réduite à une formation de base incapable d’intervenir sur un théâtre d’opérations extérieures, de protéger les intérêts économiques de la Russie, de naviguer dans les zones maritimes stratégiques, d’assurer le soutien de l’armée dans les zones côtières et de défendre ses eaux territoriales en cas d’affrontement avec un ennemi puissant.
L’exécution d’une mission d’importance capitale, telle que la mise en œuvre de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, sera remise en question. Compte tenu de l’importance croissante de la marine et des opérations militaires en zone maritime, une telle situation serait absolument inacceptable. L’édification de la marine doit se dérouler de manière régulière et stable sur une période de plusieurs années voire décennies. Dans la situation actuelle, l’incapacité dans laquelle est la Russie de financer le développement de sa marine est susceptible, d’ici dix ans, de remettre en question sa capacité à défendre ses propres intérêts, sa souveraineté et son intégrité territoriale. La seule issue serait d’augmenter la part des dépenses militaires dans le PIB en améliorant parallèlement le système de répartition du budget alloué. L’expérience montre qu’en Russie on sait gaspiller l’argent.
Ce texte n’engage que la responsabilité de l’auteur.