Repris depuis le site geostrategie.com
avec la permission de l'auteur . J'ai eu le plaisir de rencontrer Yves Bataille lors de mon voyage en Serbie en Décembre 2009 .
Geostrategie.com – Le Général Ratko Mladić a été arrêté près de Belgrade. Qu’est-ce que cela va changer pour la Serbie ?
Yves Bataille – Le Sanhédrin de La Haye va avoir un nouveau pensionnaire, serbe comme il se doit. Le rituel des arrestations et des livraisons de résistants serbes est arrivé à son terme. Ancien chef d’état-major de l’Armée de la Republika Srpska, le général Ratko Mladić est la dernière grande figure recherchée par la « justice internationale ». La direction actuelle de la Serbie, qui se voyait reprocher de ne pas en faire assez pour arrêter le général Mladić, va recevoir un bon point de l’Union Européenne et des États-Unis et être encore plus exécrée par les Serbes. Cela va renforcer ceux qui désignent le gouvernement de Boris Tadić comme un gouvernement de traîtres.
Geostrategie.com – Dès appels à descendre dans le rue ont été lancés. Il va y avoir des manifestations ?
Yves Bataille – A l’heure où je vous parle elles ont déjà commencé.[ Voir vidéo ] Il faudra être attentif à la quinzaine qui suit car cet événement s’ajoutant à d’autres pourrait faire descendre dans la rue un faisceau protestataire sans précédent.
La déclaration de l’« indépendance » du Kossovo a provoqué de massives manifestations de rue. On se souvient que l’ambassade américaine et les McDonald’s avaient été brûlés. Quand l’UE a voulu imposer sa « Gay Pride », des milliers de jeunes Serbes sont descendus dans la rue et ont affronté avec détermination la police et la gendarmerie. Aujourd’hui quatre éléments se conjuguent pour stimuler de nouvelles manifestations : celui de l’anniversaire de 78 jours de bombardements de l’Otan contre la République Fédérale de Yougoslavie (RFY) en 1999, celui des bombardements de l’Otan contre la Libye, l’annonce d’une réunion générale (nouveau Lisbonne) de l’Otan à Belgrade les 13, 14 et 15 juin et maintenant l’arrestation du général Mladić. Autant de facteurs politiques et émotionnels susceptibles d’alimenter une contestation politique radicale. Avec les bombardements et l’annonce de la réunion de l’Otan la Serbie était déjà assise sur un baril de poudre. L’arrestation du général Mladić est un facteur risque aggravant. Le gouvernement le sait, qui a renforcé les mesures de sécurité devant le Parlement, la radio, la télévision et les ambassades occidentales.
Geostrategie.com – Vous êtes très impliqué dans l’action de soutien aux Serbes. Qu’entendez-vous par « faisceau protestataire sans précédent » et allons-nous assister à de nouveaux troubles ?
Yves Bataille – La place publique et la rue sont toujours le terrain privilégié d’une action mais d’une action marquée par la nouveauté de l’utilisation des réseaux sociaux Internet, Facebook et Twitter, des outils de l’ennemi qui sont retournés contre lui. Le groupe Facebook Support for Muammar al Gaddafi from the people of Serbia qui a dépassé 70.000 inscrits a déjà fait descendre des milliers de manifestants dans la rue. Une conscience se fait jour. Les plus lucides disent qu’il ne faut plus manifester le dégoût mais l’encadrer. Les manifestations qui n’en amènent pas d’autres sont sans intérêt. Il convient de porter des coups au régime et pour cela il faut répondre à une coordination, l’unité à la base et dans l’action contre le régime et contre le Système. La situation apparaît mûre pour appliquer la fameuse dynamique action-répression-nouvelle action. La répression promise par un gouvernement qui a affirmé ne pas tolérer les troubles qu’il provoque va entraîner de nouvelles manifestations. Certains disent qu’il ne faut plus faire comme après l’attaque de l’ambassade américaine, s’arrêter. Qu’au contraire cette fois il faudra aller de l’avant et encore de l’avant, jusqu’à l’affrontement décisif, jusqu’à la rupture. Slobodan Homen, le commissaire politique de l’ambassade américaine au gouvernement, l’a compris, qui multiplie les menaces à l’encontre des nationalistes. Homen est un ancien membre d’Otpor, le groupe étudiant d’opposition à Slobodan Milosević fabriqué par la CIA.
Les premières manifestations ont eu lieu dès l’annonce de l’arrestation du général Mladić. A Belgrade la police a dispersé des groupes qui convergeaient vers la Place de la République, lieu habituel des protestations. A Novi Sad des heurts se sont produits entre un millier de manifestants conduits par les nationalistes d’Obraz et de 1389 et la police.
Geostrategie.com – Comment peut-on associer le soutien à la Libye et celui au Général Mladic ?
Yves Bataille – On peut s’étonner de la mobilisation serbe pour la Libye mais elle a une explication. Les Serbes n’ont pas oublié l’agression de leur pays. C’est pourquoi ils se montrent si solidaire d’une Libye attaquée par les mêmes et avec les mêmes procédés. Pour parler comme un psychologue, les Serbes font depuis le 19 mars une identification à l’agressé. Il y a aussi un autre facteur que l’on connaît moins à Paris, ce sont les liens anciens entre les deux pays. La Serbie a hérité d’une relation de qualité nouée naguère dans le cadre du Mouvement des Pays non-alignés (MNA). En 1999 la Libye de Kadhafi a soutenu les Serbes et dernièrement elle a refusé de reconnaître l’« indépendance » du Kossovo.
Sur la Libye, sur l’Otan, sur l’Europe de Bruxelles, tous les mouvements nationalistes et socialistes authentiques sont sur la même longueur d’onde. Cette unanimité contre a conduit à la convergence de forces qui, dans d’autres pays, sont concurrentes ou antagonistes. C’est une spécificité serbe. Un socialiste international y sera toujours plus proche d’un nationaliste que d’un libéral atlantiste. Le clivage n’est pas entre une droite et une gauche mais entre les défenseurs du peuple et de la nation et les collaborateurs de l’Occident (États-Unis, Union Européenne, Otan etc.). En outre le champ du politique s’est déplacé. Il s’éloigne du Parlement de jour en jour, ce qui n’empêche pas certains groupes nationalistes de recueillir des signatures pour y entrer. Des syndicats revendicatifs sont nés, le nombre d’associations culturelles et estudiantines augmente comme celui des groupes patriotiques, formant le terreau d’un mouvement plus vaste.
Le Mouvement extra-parlementaire se pose en porte parole du peuple et de la nation contre le régime de collaboration de Boris Tadić. Les membres du gouvernement sont désignés comme des traîtres installés par l’ennemi et agissant contre le pays. Aux élections de 2008 les socialistes du SPS avaient sauvé Tadić en ralliant le gouvernement et une scission avait été organisée au sein du Parti radical serbe (SRS) pour l’affaiblir. Ce dernier s’est finalement renforcé avec le départ des éléments à l’origine de cette scission (Nikolić t Vucić) et d’ex scissionnistes et non des moindres, comme le général Božidar Delić, ont finalement réintégré les rangs du SRS.
Le général Mladić est présenté en Occident comme un « criminel de guerre », celui qui aurait tué 8.000 musulmans bosniaques à Srebrenica. On fait croire que sous sa direction les Serbes se sont livrés à un massacre. Aujourd’hui la documentation est suffisamment importante pour se rendre compte qu’il ne s’agissait que de propagande de guerre. A Srebrenica et dans les environs il y a eu autant de Serbes tués que de musulmans bosniaques (autour de 3.000 de chaque côté). La médiatisation du « massacre de Srebrenica » est de même nature que celle qui a fait dire il y a deux mois que Kadhafi tirait sur son peuple avec des avions. On invente chaque fois un massacre pour pouvoir justifier ensuite les vrais massacres, ceux de l’Otan. En Bosnie les moudjahidine afghans importés par les services anglo-saxons avec l’aide de l’armée turque ont joué le même rôle que les « insurgés » islamistes de Benghazi. On a d’ailleurs tenté il y a peu de faire à Misrata le même cinéma qu’à Srebrenica mais ça n’a pas marché (l’histoire des bombes à fragmentation dont on sait qu’elles furent tirées par l’Otan).
Geostrategie.com – Quelle est l’attitude des intellectuels serbes dans le mouvement de protestation ?
Yves Bataille – La Serbie est un pays où il existe encore des intellectuels, de vrais gens de culture. Pas comme en France où de « pompeux cornichons » détiennent le monopole de la diffusion des idées et débattent entre eux sur les plateaux de télévision pour dire la même chose. En Serbie les Américains ont échoué dans leur offensive sur le Front culturel. Via la Fondation Soros, ils ont bien essayé d’acheter l’Union des Écrivains mais n’y ont pas réussi. Ils avaient spéculé sur la pauvreté des écrivains, leur criant besoin d’argent. Le seul domaine où ils ont réussi à faire quelque chose via les médias (surtout les télévisions) qu’ils contrôlent, c’est celui de la diffusion de cette sous-culture de masse démocratique occidentale à base anglo-saxonne. Les concerts de rock, les émissions de télé réalités. Ils subventionnent la promotion de ces nuisances, paient des ONG, financent des sites internet. Les Américains ont jusqu’à présent été très généreux avec leur cinquième colonne. Les Russes sont incapables de faire la même chose. Donc sans les Russes auxquels il ne faut pas donner un chèque en blanc parce qu’ils sont slaves orthodoxes… le peuple serbe manifeste toujours sa préférence pour les chansons et les danses traditionnelles, la musique byzantine, les chants sacrés. Pour ce qui vient du fond des âges et ce qui remémore l’Épopée. Moderne mais typiquement serbe, le Festival de Trompettes de Guča, qui rassemble chaque année dans un petit village des dizaines de milliers de participants, a atteint la renommée mondiale rien que par sa qualité tandis que la vogue des chants orthodoxes, byzantins et néo-païens ne cesse d’augmenter. Cette affirmation culturelle explique la vitalité du mouvement politique extra parlementaire irrigué par les idées-forces de la résistance populaire .
Un exemple de synergie culture politique : quand après les manifestations contre la provocatrice Gay Pride le chef du Mouvement Obraz et vingt de ses camarades ont été emprisonnés, des centaines d’écrivains, de poètes et de gens du spectacle ont signé une pétition pour demander leur libération. Il est fort courant de voir des intellectuels liés au mouvement national-patriotique participer à des réunions et à des manifestations de rue ou même à en prendre la tête.
Il y a un fossé abyssal entre la conscience nationale exprimée par les intellectuels serbes et les leaders d’opinion occidentaux. Depuis l’arrestation du général Mladić la presse occidentale nous ressort les clichés d’il y a quinze ans. Aucune objectivité et toujours le même vocabulaire hostile. On a ressorti le langage formaté du frigidaire. Journalistes et politiciens se félicitent de l’arrestation du « boucher des Balkans » (le titre d’une future émission de télévision de la 2) et évoquent les bienfaits thérapeutiques du Tribunal de La Haye. La presse industrielle continue à abuser l’opinion et à répandre ses mensonges. Croyant voir dans « l’arrestation de Mladić » (comme elle dit) la fin d’une histoire, ce milieu superficiel et frelaté ne se rend pas compte que l’arrestation du général Mladić ne met pas un terme au combat. La guerre continue avec un mouvement politico-social de contestation générale qui est la Nouvelle Résistance Populaire en action et le mouvement victorieux de demain.