Publié le 8 Janvier 2009
Ice Station Zebra ne peut pas , encore , se réclamer de 25 000 connexions par jour . Il ne tient qu' à vous , amis lecteurs et abonnés , de m'aider à atteindre ce chiffre en le diffusant . Toutes les offres de collaboration dans l' "esprit " du blogue seront cordialement bienvenues .
Robert Amsterdam, avocat sans barreaux
Il faut être culotté pour se raconter "communiste à 12 ans". Surtout lorsqu'on a pour spécialisation, en tant qu'avocat, la défense de grands groupes industriels face aux intérêts étatiques. Il est comme ça, Robert Amsterdam. Audacieux, hyper-actif, décomplexé. Il pense vite, parle encore plus vite, accroche parfois des "fuck" à ses phrases lorsqu'il se sent à l'aise, comme si le mot était une étiquette d'AOC new-yorkaise.
Enfant du Bronx, voyageur infatigable, lecteur compulsif aussi. De passage à Paris, il tire une lourde valise. On y trouve des livres, Le Capitalisme sans la démocratie, La Philosophie et les politiques de la dissidence de Patocka à Havel, La Loi internationale de l'occupation, ainsi qu'un long article sur la stratégie indienne en matière de politique étrangère.
Robert Amsterdam s'est fait un nom dans le droit des affaires depuis bien longtemps, mais il l'a imposé dans la presse mondiale grâce à la défense de Mikhaïl Khodorkovski, assurée à partir de 2003. L'ancien propriétaire du groupe pétrolier Ioukos - groupe dépecé par le pouvoir russe - purge une peine de huit ans de prison pour des délits financiers. Rien ne lui a été épargné : ni le procès parodique, ni l'emprisonnement à l'autre bout de la Fédération, ni les brimades.
Lui-même arrêté à Moscou en septembre 2005, puis contraint de quitter le pays en 24 heures, M. Amsterdam espère pour son client la clémence du nouveau président, Dmitri Medvedev. "La libération de Khodorkovski refléterait un tournant dans les relations entre le peuple et l'Etat, permettant de s'éloigner du nihilisme légal", dit-il, empruntant cette formule au nouveau locataire du Kremlin.
En septembre 2006, l'avocat a créé son blog ( censuré par la rédaction - NDR ). Disponible en cinq langues, il est conçu comme une plateforme d'informations - à la tonalité critique - sur la Russie et l'ancien espace soviétique. Ses thématiques essentielles : les questions énergétiques et les droits de l'homme. L'avocat y livre ses analyses incisives et accueille des contributions de personnalités, comme le journaliste militaire russe Grigori Pasko ou l'opposant Chee Soon Juan, dont il assure la défense pro bono contre les autorités de Singapour. Le site revendique entre 25 000 et 50 000 visites par jour.
La politique est sa passion, mais Robert Amsterdam n'est ni un sentimental ni un romantique des droits de l'homme. Son engagement et son ouverture sur le monde ont été précoces. Au lycée, à Toronto - où la famille emménage dès son plus jeune âge -, il participe à la création d'un journal qui doit fermer sous la pression de l'administration, après la publication d'une interview avec Abbie Hoffman, célèbre militant anarchiste des années 1970.
A 15 ans, il accompagne sa mère en Europe. Tandis qu'elle soigne son asthme en Tchécoslovaquie, le jeune homme en profite pour voyager sur le continent. D'année en année, son passeport se couvre de tampons exotiques, en Afrique comme en Union soviétique. Son beau-père réussit à l'inscrire par miracle à la fac. En cours, il brille sur le marxisme-léninisme. "J'étais un des meilleurs spécialistes au Canada", dit-il sérieusement.
A 19 ans, il pense devenir journaliste ou enseignant. Sa soeur - aujourd'hui avocate - le pousse à s'inscrire en droit. C'est là qu'il rencontre son futur associé, Dean Peroff. "Lui passait la nuit à lire de la merde philosophique, pendant que je dévorais Le Quotidien du peuple, se souvient M. Amsterdam. On a compris qu'on n'était pas faits pour ce genre d'école blanche protestante anglo-saxonne."
De son côté, M. Peroff se souvient de son "énergie phénoménale" : "Robert pensait déjà à notre association future, alors que je me demandais comment finir mes études ! Il vivait à l'époque une transition. Après avoir été fasciné politiquement par l'Est, il développait un nouveau point de vue sur les affaires."
En 1980, les deux hommes fondent leur cabinet d'avocats à Toronto. Ils vont prospérer dans une niche : le droit des entreprises et les marchés émergents, en Amérique du Sud et en Afrique.
Pour Robert Amsterdam, le droit est une partie d'échecs. Dans de nombreux pays, on triche ; il faut donc inventer des coups pour se défendre. L'avocat disserte volontiers, dans des articles techniques, sur l'évolution des rapports entre le milieu des affaires et les Etats, en particulier depuis le 11-Septembre. "Le business est attaqué, or sa voix ne suscite pas la sympathie publique, dit-il. J'ai une opinion très négative de la guerre contre le terrorisme. On a utilisé et étendu des lois répressives, lâché des forces de police massives contre les grandes corporations et leurs dirigeants. Cette dilution de nos lois et de nos valeurs est beaucoup plus grave que la crise financière"
Se définissant comme "le genre de gars de la vieille école, adepte des dix commandements", Robert Amsterdam présente une particularité dans sa profession : il l'exerce davantage à l'extérieur des tribunaux qu'à la barre. "Il est plein de ressources et assez atypique dans sa façon de saisir les enjeux politiques derrière les affaires juridiques. Il comprend que le métier d'avocat ne se limite pas au prétoire, et utilise les médias comme un forum alternatif", explique l'avocat britannique Anthony Julius, qui partage avec lui plusieurs dossiers.
As du lobbying, de la mobilisation de réseaux, de la constitution d'équipes de juristes pointus, Robert Amsterdam intervient actuellement dans dix pays sur tous les continents. "Depuis l'affaire Khodorkovski, je passe plus de temps avec les politiciens qu'avec les juges", reconnaît-il. Ses détracteurs soulignent son éloignement d'une pratique classique de la défense, le brouillage des lignes. Lui brandit un seul instrument de mesure : l'efficacité.
"Les entités commerciales, comme les individus, ont le droit d'être défendues", argumente M. Peroff. Cela ne va pas sans risque. Un jour, à Lagos, au Nigeria, alors qu'il intervient dans une dispute commerciale au sujet d'un opérateur téléphonique, il voit arriver la partie adverse avec trente hommes en armes. Dans certains pays, le code pénal compte moins que le code viril.
En 2002, l'avocat défendit les intérêts de la chaîne d'hôtels de luxe Four Seasons au Venezuela, lorsque son hôtel à Caracas fut contraint de fermer. Une féroce bataille judiciaire s'engagea devant les tribunaux locaux, puis américains, pour le contrôle de l'hôtel. Des hommes d'affaires vénézuéliens envisageaient même de s'en emparer par la force. "Ils pensaient intimider les gringos, sourit l'avocat. Mais nous avons fait appel à notre propre sécurité privée."
Depuis, au gré de ses déplacements dans le monde, Robert Amsterdam descend toujours dans un établissement de la chaîne. Il y est logé gratuitement. Celui de Moscou est en construction, face au Kremlin. Pas sûr que l'avocat en soit un des premiers invités.