Il ne me fallut que quelques jours pour avoir envie de rester. Je ne cherchais pas à analyser alors les raisons de ce choix, mais il me paraissait évident que je devais revenir m'installer à Moscou. Je rentrais donc en France dans le seul but d'organiser mon départ et, moins de deux mois plus tard, je m'installais à Moscou. Je devais y rester quatorze ans...
Il n'y avait encore que peu d'étrangers en Russie. Moins de deux mille cinq cent Français étaient inscrits au consulat, pour toute la Russie. Il y avait surtout des fonctionnaires européens venu mettre en oeuvre les nouveaux programmes d'aide et des conseillers américains. Le pays avait certainement besoin d'aide. Peut-être pas de celle qui lui était alors prodiguée. Mais nous y reviendrons plus tard. Toute la vie économique avait besoin de se réorganiser. On pouvait sans problème acheter toute la nourriture nécessaire dans un des marchés de la ville. En ce qui me concerne, je fréquentais le marché central, fermé maintenant. On y trouvait toutes sortes de fruits et légumes, y compris certains fruits que je ne connaissais pas, venus d'Asie ou du Caucase.
C'est également au marché central que j'achetais le caviar. A cent vingt francs le kilo, je l'achetais en bocaux de deux kilos. On pouvait le goûter sur place avant de se décider. Pendant quelque mois j'en mangeais même au petit déjeuner. En revanche, le pain frais était introuvable. Je mangeais donc le caviar sur du pain un peu sec. Pas de champagne non plus, mais la meilleure vodka ne coûtait presque rien pour qui la payait en dollars. Donc vodka et caviar (non pas au petit déjeuner quand même!).
A côté de cela, les magasins traditionnels ne fonctionnaient pratiquement plus, pris entre des stocks au plus bas et les premiers soubresauts de la privatisation.
Très peu de restaurants également. Là aussi, les restaurants d'état, dans leur grande majorité ne fonctionnaient plus. Les restaurants coopératifs crées en 87/88 sous Gorbatchev étaient très peu nombreux et il n'y avait pratiquement pas de restaurants privés. Pizza Hut était installé sur Tverskaya, l'ancienne rue Gorki, les Champs Elysées de Moscou. Mais est-ce bien un restaurant ? J'y mangeais quand même souvent. Le Pepsi fait sur place à base d'extraits secs avait un affreux goût de chlore qui lui venait de l'eau du robinet.
Je faisais à l'époque souvent la "navette" entre la Russie et la France. Dès le début, j'ai été frappé par le décalage entre l'image que les medias français donnaient de la situation en Russie et la réalité du terrain, telle que je la voyais tous les jours. Regarder les info sur TF1 (par exemple, mais toutes les chaînes avaient la même "vision") tenait pour moi de l'expérimentation surréaliste.
J'en ai parlé un jour au représentant local de la chaîne, Patrick Bourrat à l'époque. Comme il y avait très peu de Français à Moscou, le simple fait d'être de la même nationalité créait des liens qui ne se seraient peut-être pas noués d'eux-mêmes en France. Patrick prenait juste la succession d'Ulysse Gosset qui avait fait l'école de journalisme de Lille en même temps qu'un de mes amis. D'où la rencontre.
Nous fréquentions assidûment le peu de restaurants ouverts. Il y en avait un situé dans le parc de Loujniki. Ce parc, au bord de la Moscova près du centre de la ville abrite un certain nombre d'installations sportives dont le grand stade de football de 60.000 places. Un groupe de Tchétchènes y avait ouvert un restaurant spectacle : l'Olympe (c'était avant les deux guerres). Patrick Bourrat y avait d'ailleurs tourné un sujet de trente secondes qui est passé sur TF1.
Donc un soir où nous dînions à l'Olympe, je faisais la réflexion à Patrick.
- Pourquoi un tel décalage entre la réalité telle que nous la voyons tous les deux chaque jour et tes reportages sur la chaîne?
Il essaya, bien sûr, d'abord, de défendre les reportages :
- mais tout ce que je dis est vrai, les images sont réellement tournées, sans trucages,
- oui, mais tu ne t'arrêtes qu'à un aspect mineur des choses, et tes commentaires sont fragmentaires.
Il chercha à me démontrer que chaque reportage reposait sur quelque chose de réel et donc vrai. Mais il dû bien admettre que cette vérité n'était qu'une partie du tableau global et que cette partie était soigneusement choisie pour donner une impression générale particulière. Et le problème, pour moi, était que cette impression générale ne correspondait pas à la réalité.
La conversation roula toute la soirée sur ce thème et nous ne prêtâmes que peu d'attention aux danseuses sensées égayer notre repas. Ce n'est que vers la fin qu'il me donna cette explication :
- Tu sais, à Paris, j'ai un rédacteur en chef. Il a en tête une certaine image de la Russie avec des pointillés. Si mes reportages remplissent ces pointillés, ils passent à l'antenne. S'ils ne les remplissent pas, ils ne passent pas. Et si mes reportages ne passent pas à l'antenne, mon prochain poste sera au Botswana ou au Zimbabwe...
Apres Moscou, effectivement, Patrick est parti pour New York. Seul le malheur a voulu qu'on l'envoyât ensuite en Irak...
* Le Dr Leonid Rochal est intervenu lors de la prise d'otages de BESLAN .
Face aux mensonges des mediats " libres " occidentaux et plus particilièrement des mediats Français , il a organisé une conférence de presse à Paris ou il a mis en avant le courage des forces anti-terroristes Russes soulignant qu'un des Spetnatz est décédé dans ses bras aprés avoir fait de son corps un bouclier pour protéger les sauveteurs .
A la fin de la conférence de presse , il a demandé aux journalistes présents d'associer dans une minute de silence toutes les victimes , sauveteurs et Spetnatz compris . La plupart ont refusé .
A l'issue de cette conférence de presse , il a eu cette remarque terrible .